L'Afrique du Sud en transition" (1995) avec Nelson Mandela (1918-2013) comme PrĂ©facier The struggle is my life (1990) Le Fonds Africa (1987) L'Apartheid (1985) Data 2/20 data.bnf.fr. I have done my duty to my people and to South Africa (1982) Nelson Mandela writes to India (1981) LibertĂ©, justice et dignitĂ© pour tous en Afrique du Sud (1978) No easy walk to freedom (1965) DossierNelson Mandela sur Tous nos articles consacrĂ©s Ă  Nelson Mandela et sĂ©lectionnĂ©s pour vous par la rĂ©daction de Slate. Traductionde 'nelson mandela s' dans le dictionnaire anglais-français gratuit et beaucoup d'autres traductions françaises dans le dictionnaire bab.la. NelsonMandela (1918– en vie) Nelson Rolihlahla Mandela , dont le nom du clan tribal est « Madiba », nĂ© le 18 juillet 1918 Devenu avocat, il ˛ar˚ci˛e ˜ la lu e non violente contre les lois de l'apartheid . ArrĂȘtĂ© ˛ar la ˛olice il est condamnĂ© lors du ˛rocĂšs de Rivonia ˜ la ˛rison et aux travaux forcĂ©s ˜ ˛er˛étuitĂ©. DĂšs lors, il devient un s bole de la l ˘e po r l Tupeux donc donner ton opinion sur ce thĂšme, mais aussi sur d’autres sujets associĂ©s Ă  nelson, mandela, biographie, français, nelson mandela mort, nelson mandela biographie, nelson mandela wikipĂ©dia, nelson mandĂ©la citation, nelson mandela photos et nelson mandĂ©la prison. Tu pourras Ă©galement laisser ton commentaire ou opinion sur celui-ci ou sur d’autres thĂšmes. Listedes citations de Nelson Mandela classĂ©es par thĂ©matique. La meilleure citation de Nelson Mandela prĂ©fĂ©rĂ©e des internautes. Retrouvez toutes les phrases cĂ©lĂšbres de Nelson Mandela parmi une sĂ©lection de + de 100 000 citations cĂ©lĂšbres provenant d'ouvrages, d'interviews ou de discours. Lisez le TOP 10 des citations de Nelson Mandela pour mieux comprendre sa vie, ses uJo9yeF. Que feriez‐vous si vous aviez passĂ© 27 ans en prison Ă  cause de votre lutte pour la libertĂ© ? Seriez‐vous capable de pardonner Ă  vos geĂŽliers, ou chercheriez‐vous Ă  vous venger ? Nelson Mandela a choisi le pardon, et il n’a jamais cessĂ© de chercher Ă  bĂątir un monde Mandela Lutte pour la libertĂ© porte sur Nelson Mandela et sur le mouvement anti‐apartheid qui s’est formĂ© autour de lui. Suivez Mandela dans la clandestinitĂ© quand il a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© hors‐la‐loi, puis rejoignez‐le Ă  l’intĂ©rieur d’une rĂ©plique de la cellule oĂč il a passĂ© 18 ans. GoĂ»tez la joie douce‐amĂšre de sa libĂ©ration, aprĂšs 27 longues annĂ©es d’emprisonnement. Enfin, soyez tĂ©moin des premiĂšres Ă©lections dĂ©mocratiques en Afrique du Sud et dĂ©couvrez les efforts que Mandela a dĂ©ployĂ©s pour reconstruire une nation dĂ©chirĂ©e par le racisme et l’ ce qui se passait dans les rues Ă  l’époque de Mandela. Voyez les jeunes qui se dĂ©fendaient contre des vĂ©hicules blindĂ©s avec des couvercles de poubelle, et dĂ©couvrez le plan secret destinĂ© Ă  faire Ă©vader Mandela de prison. Le soutien Ă  Mandela et Ă  sa cause ne venait pas que d’Afrique du Sud. Écoutez des Canadiens et des Canadiennes qui ont participĂ© Ă  la lutte pour la libertĂ© et l’égalitĂ© et constatez par vous‐mĂȘme l’importance de la mobilisation et de la dĂ©nonciation. Mon idĂ©al le plus cher a Ă©tĂ© celui d’une sociĂ©tĂ© libre et dĂ©mocratique dans laquelle tout le monde vivrait ensemble en harmonie et avec des chances Ă©gales. C’est un idĂ©al pour lequel j’espĂšre vivre et que j’espĂšre accomplir. Mais si nĂ©cessaire, c’est un idĂ©al pour lequel je suis prĂȘt Ă  mourir. Nelson Mandela sortant de la prison Victor Verster avec sa femme Winnie Mandela le 11 fĂ©vrier 1990. Il avait Ă©tĂ© emprisonnĂ© par le rĂ©gime de l’apartheid pendant 27 ans. Photo Graeme Williams Contre quoi Mandela luttait-il? Mandela luttait contre l’apartheid, un systĂšme de suprĂ©matie blanche en Afrique du Sud. Sous l’apartheid, chaque personne Ă©tait classĂ©e dans une de quatre catĂ©gories raciales personnes noires ; personnes blanches/europĂ©ennes ; personnes de couleur ou mĂ©tisses ; et personnes indiennes ou asiatiques. Ceux et celles qui ne faisaient pas partie de la population blanche Ă©taient des citoyens et des citoyennes de seconde classe ayant peu ou pas de pouvoir politique. Des lois contraignantes rĂ©gissaient tous les aspects de la vie des gens, dĂ©finissant les endroits oĂč ils pouvaient habiter et travailler, oĂč ils pouvaient se rendre, et limitant leur accĂšs Ă  l’éducation, aux soins de santĂ© et aux autres services sociaux. Mandela s’est opposĂ© Ă  l’apartheid et a appelĂ© tous les Sud‐Africains et toutes les Sud‐Africaines Ă  se rebeller avec lui. Bien qu’il ait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© et emprisonnĂ© pendant 27 ans en raison de son combat pour la libertĂ©, Mandela n’a jamais abandonnĂ© la lutte ni cĂ©dĂ© Ă  la haine. Il se battait contre l’apartheid, mais il se battait aussi pour une chose un monde meilleur, dans lequel on respecte la libertĂ©, la justice et la dignitĂ© pour tous et toutes. Avant mĂȘme sa libĂ©ration en 1990, Mandela avait entrepris des nĂ©gociations avec le gouvernement pour mettre un terme Ă  l’apartheid. GrĂące Ă  ces nĂ©gociations, il a contribuĂ© Ă  prĂ©venir une guerre civile sanglante. Par la suite, Mandela est devenu le premier prĂ©sident d’Afrique du Sud Ă©lu dĂ©mocratiquement. Diapositives Des Ă©tudiants se protĂ©geant contre les balles tirĂ©es par la police pendant les Ă©meutes de Soweto, 16 juin 1976. Ces Ă©meutes ravivent le mouvement de rĂ©sistance en Afrique du Sud et Ă  l’étranger. Photo Dr. Peter Magubane Livrets de contrĂŽle, aussi appelĂ©s passeports intĂ©rieurs, 1980–1985. Les membres de la population noire sud‐africaine doivent avoir des livrets comme ceux‐ci sur eux en tout temps. Ces livrets dĂ©finissent les endroits oĂč les gens peuvent habiter et travailler, et les gens doivent les faire signer par leur employeur tous les mois. Collection du MCDP; photo John Woods Hugh Extavour, Diana Braithwaite, Faith Nolen et Maurice Gordon de gauche Ă  droite en spectacle au festival des arts contre l’apartheid, Ă  Toronto, 1986. Des Canadiens et des Canadiennes de diffĂ©rents horizons participent Ă  la lutte. Ils boycottent les produits sud‐africains, tiennent des rassemblements et utilisent la diplomatie pour protester contre les injustices de l’apartheid. Photo Margie Bruun-Meyer Oliver Tambo, prĂ©sident du CongrĂšs national africain, en exil 1960–1990 avec le premier ministre Brian Mulroney, 1987. Oliver Tambo a visitĂ© le Canada pour renforcer le soutien pour la lutte anti‐apartheid. Photo La Presse Canadienne, Chuck Mitchell Des gens faisant la queue pour voter, 1994. Les gens attendent des heures pour pouvoir dĂ©poser leur bulletin de vote. La plupart d’entre eux n’avaient encore jamais eu le droit de voter. Photo Getty Images, Gallo Images, Raymond Preston Nelson Mandela dĂ©posant son bulletin de vote, Inanda Natal, Afrique du Sud, 1994. À 75 ans, Mandela devient le premier prĂ©sident d’Afrique du Sud Ă©lu dĂ©mocratiquement. Photo Getty Images, Peter Turnley Navigation dans les diapositives Un homme, de nombreuses voix Le courage de Mandela est inspirant et son histoire est remarquable, mais il n’était pas seul dans sa lutte contre l’apartheid. En Afrique du Sud et ailleurs dans le monde, son exemple a inspirĂ© des gens qui comprenaient que la libertĂ© ne serait possible en Afrique du Sud que si un grand nombre de personnes agissaient. En Afrique du Sud, beaucoup de personnes sont mortes dans la lutte pour la libertĂ©. Ici au Canada, beaucoup de gens se sont mobilisĂ©s contre l’apartheid, lançant des appels au boycottage contre le rĂ©gime de l’apartheid en Afrique du Sud. Nous avons invitĂ© des gens Ă  passer 27 minutes dans une piĂšce de dimension semblable Ă  la cellule dans laquelle Mandela a passĂ© la plupart de son temps en prison. DĂ©couvrez comment cette expĂ©rience a changĂ© leur perspective sur la lutte de Mandela pour la libertĂ©. L’exposition Mandela Lutte pour la libertĂ© nous parle d’un homme, mais aussi des nombreuses personnes qui se sont unies pour s’opposer au racisme et Ă  l’injustice. L’exposition Mandela Lutte pour la libertĂ© sera en montre dans la galerie du niveau 1 jusqu'au 25 aoĂ»t 2019. Planifier votre visite Billetterie Devenir membre Lutter contre l’apartheid avec des affiches Beaucoup des affiches anti‐apartheid Ă©taient sĂ©rigraphiĂ©es, cette mĂ©thode d’impression se caractĂ©risant par une esthĂ©tique populaire. Les messages de ces affiches, publiĂ©es en Afrique du Sud et ailleurs dans le monde, trouvent encore Ă©cho aujourd’hui auprĂšs des gens qui continuent de lutter pour la libertĂ©. CrĂ©ez votre propre affiche! Questions de rĂ©flexion Comment rĂ©agir face Ă  l’injustice? Comment guĂ©rir aprĂšs une violation des droits de la personne? Comment le passĂ© influence-t-il le prĂ©sent? L’exposition a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e en collaboration avec l’Apartheid Museum de Johannesburg, en Afrique du Sud. Parmi les prĂȘteurs ayant contribuĂ© Ă  l’exposition, il y a le Robben Island Museum et Zapiro. Le MusĂ©e remercie la Fondation Asper, le Groupe Banque TD, Air Canada et Voyage Manitoba pour leur appui Ă  l’exposition. L’histoire de Nelson Mandela Nelson Mandela a passĂ© 27 ans en prison pour s’ĂȘtre opposĂ© au rĂ©gime de l’apartheid en Afrique du Sud. Soumis Ă  de dures conditions visant Ă  briser sa volontĂ©, il refuse d’abandonner ses tentatives pour rĂ©aliser l’égalitĂ© pour tous et le terrible sacrifice personnel que constitue l’emprisonnement, Mandela continue Ă  agir en leader et mobilise les autres prisonniers. AprĂšs sa libĂ©ration, il participe aux nĂ©gociations visant Ă  mettre un terme Ă  l’apartheid et devient le premier prĂ©sident d’Afrique du Sud Ă  avoir Ă©tĂ© Ă©lu l’histoire de Nelson Mandela dans son parcours de la prison Ă  la prĂ©sidence. Pourquoi Mandela a-t-il Ă©tĂ© emprisonnĂ©? Mandela a Ă©tĂ© emprisonnĂ© parce qu’il s’opposait aux lois de l’apartheid en Afrique du Sud. Apartheid signifie sĂ©paration », en afrikaans. Les lois du rĂ©gime apartheid groupent la population sud‐africaine en quatre catĂ©gories personnes blanches/europĂ©ennes ; personnes noires ; personnes de couleur ou mĂ©tisses de races mĂȘlĂ©es »; et personnes indiennes/asiatiques. La population blanche, qui compte pour 15 % de la population sud‐africaine, est au sommet et dĂ©tient pouvoir et richesses. La population sud‐africaine noire, soit 80 % de la population du pays, est relĂ©guĂ©e tout au bas de la hiĂ©rarchie. De nombreuses personnes en Afrique du Sud dĂ©fient l’apartheid. Leurs tactiques comprennent des campagnes de dĂ©sobĂ©issance civile, des grĂšves nationales et des boycottages. Nelson Mandela se joint Ă  cette lutte dans les annĂ©es 1940, quand il est jeune avocat. Dans les annĂ©es 1950, il devient un important leader de la lutte contre l’apartheid. Des protestataires Ă  bord d’un wagon de train rĂ©servĂ© Ă  la population europĂ©enne pendant la Campagne de dĂ©fi, 1952. Dans un geste dĂ©libĂ©rĂ© de dĂ©fi, ils tiennent le pouce en l’air en signe de solidaritĂ©. Photo Getty Images, Bettmann Le gouvernement sud‐africain rĂ©pond aux demandes d’égalitĂ© et de libertĂ© par la rĂ©pression et la violence, abattant les personnes non armĂ©es qui manifestent, arrĂȘtant et emprisonnant des milliers d’autres personnes Ă  son grĂ©. L’opposition Ă  l’apartheid avait dĂ©butĂ© de maniĂšre pacifique, mais Mandela croit maintenant qu’elle ne peut se poursuivre que dans la lutte armĂ©e. Avec d’autres, il crĂ©e le groupe Umkhonto weSizwe Fer de lance de la nation », aussi connu sous le nom de MK. Mandela passe 17 mois dans la clandestinitĂ©, tentant d’obtenir de l’aide pour la lutte armĂ©e, mais il est arrĂȘtĂ© en 1962. Puis, en 1963, Mandela est traduit en justice pour un certain nombre d’accusations. Avec sept de ses collĂšgues, il est condamnĂ© Ă  la prison Ă  vie. Mandela quittant la confĂ©rence All‐In‐Africa, Ă  Pietermaritzburg, 1961. ConfĂ©rencier‐surprise, il y lance un appel pour une Afrique du Sud dĂ©mocratique. Photo Peter Magubane Mon idĂ©al le plus cher a Ă©tĂ© celui d’une sociĂ©tĂ© libre et dĂ©mocratique dans laquelle tout le monde vivrait ensemble en harmonie et avec des chances Ă©gales. C’est un idĂ©al pour lequel j’espĂšre vivre et que j’espĂšre accomplir. Mais si nĂ©cessaire, c’est un idĂ©al pour lequel je suis prĂȘt Ă  mourir. Rencontre entre Mandela et des combattants algĂ©riens de la libertĂ©, Maroc, 1962. Pendant sa clandestinitĂ©, il voyage beaucoup en Afrique pour rencontrer d’autres leaders et des groupes qui se battent pour la libĂ©ration. Photo UWC-Robben Island Museum Mayibuye Archives Prison de l’üle Robben Île Robben, Afrique du Sud, 1995. Les prisonniers sont isolĂ©s du monde extĂ©rieur, mais peuvent apercevoir Le Cap au loin, avec la montagne de la Table, Ă  quelques kilomĂštres seulement. Photo Getty Images, Oryx Media Archive, Gallo Images Mandela et ses compatriotes sont envoyĂ©s dans une prison Ă  sĂ©curitĂ© maximale sur l’üle Robben en 1964. Aucune personne blanche n’est emprisonnĂ©e sur l’üle Robben. Mandela y passe 18 de ses 27 annĂ©es d’emprisonnement, avec d’autres prisonniers politiques qui sont gardĂ©s dans une section distincte. Mandela raccommodant des vĂȘtements dans la prison de l’üle Robben, 1964. Il porte des shorts parce que les prisonniers noirs ne sont pas autorisĂ©s Ă  porter des pantalons. Mandela et ses codĂ©tenus politiques ont contestĂ© cette rĂšgle, et obtenu gain de cause. Photo Daily Express London, Cloethe Breytenbach Sur l’üle Robben, les dures conditions de dĂ©tention visent Ă  briser la volontĂ© des prisonniers. C’est la couleur de la peau qui dĂ©termine les droits des prisonniers. Les prisonniers noirs sont moins bien nourris que les prisonniers indiens/asiatiques ou que les personnes de couleur ou mĂ©tisses de races mĂȘlĂ©es ». Les hommes noirs sont forcĂ©s de porter des shorts et des sandales, mĂȘme l’hiver, tandis que les hommes indiens et mĂ©tis peuvent porter des pantalons et des chaussures. Mandela raccommodant des vĂȘtements dans la prison de l’üle Robben, 1964. Il porte des shorts parce que les prisonniers noirs ne sont pas autorisĂ©s Ă  porter des pantalons. Mandela et ses codĂ©tenus politiques ont contestĂ© cette rĂšgle, et obtenu gain de cause. Photo Daily Express London, Cloethe Breytenbach Les pires conditions sont rĂ©servĂ©es aux prisonniers politiques. CondamnĂ©s aux travaux forcĂ©s, Mandela et ses compagnons militants passent plus de dix ans Ă  casser des cailloux dans une carriĂšre de chaux. Certains prisonniers sont agressĂ©s et torturĂ©s par les gardiens. Le contact avec le monde extĂ©rieur est presque totalement coupĂ©. Quand Mandela arrive Ă  l’üle Robben, il a droit Ă  une lettre et Ă  une visite de 30 minutes tous les six mois seulement. On lui refuse l’autorisation d’assister aux funĂ©railles de sa mĂšre, dĂ©cĂ©dĂ©e en 1968, et de l’un de ses fils, victime d’un accident de voiture en 1969. Il a dĂ» attendre 21 ans pour pouvoir serrer de nouveau sa femme Winnie dans ses bras. Ses deux filles ont dĂ» attendre d’avoir 16 ans pour le voir. Des panneaux de verre sĂ©parent les prisonniers des gens qui leur rendent visite. Ils se parlent par tĂ©lĂ©phone, devant des gardes qui Ă©coutent le moindre mot. Les lettres sont lourdement censurĂ©es ; les mots qui ne sont pas de nature strictement personnelle sont biffĂ©s Ă  l’encre noire. Quand les prisonniers trouvent un moyen de lire le contenu censurĂ©, les censeurs se mettent Ă  couper de grandes sections, ne remettant aux prisonniers que des lambeaux de lettres. Des prisonniers brisant des roches Ă  l’üle Robben, 1964. Les dĂ©tenus sont forcĂ©s d’effectuer des travaux Ă©reintants. Il est interdit de parler ou de chanter en travaillant. Photo Daily Express London, Cloethe Breytenbach MĂȘme si ces prĂ©cieuses lettres ne vous parviennent pas, je dois quand mĂȘme persister et continuer Ă  Ă©crire chaque fois que c’est possible [
]. C’est un moyen pour moi de vous transmettre mon amour le plus profond et mes bons vƓux, et cela calme la douleur aigĂŒe que je ressens quand je pense Ă  vous. Nelson Mandela, extrait d’une lettre de Nelson Mandela Ă  ses filles Zeni La lutte se poursuit MalgrĂ© ce traitement, les prisonniers de l’üle Robben continuent Ă  rĂ©sister au rĂ©gime de l’apartheid de mille façons. Mandela et d’autres prisonniers rĂ©clament de meilleures conditions de dĂ©tention et le respect des droits pour tous les prisonniers, quelle que soit leur race. En 1966, les prisonniers noirs obtiennent le droit de porter des pantalons au lieu de shorts. À force de rĂ©clamations, ils arrachent le droit d’avoir un bureau dans leur cellule, de lire et d’étudier, et mĂȘme de faire un petit potager. Certificat fait Ă  la main et remis par la Robben Island Amateur Athletic Association. Photo UWC-Robben Island Museum Mayibuye Archives Ils obtiennent aussi le droit de jouer au soccer, au tennis et au volleyball. Des jeux d’étĂ© ont lieu dans la prison et les prisonniers sont trĂšs fiers d’arriver Ă  organiser des Ă©vĂ©nements et des programmes complexes avec peu de matĂ©riel. La musique devient un autre moyen pour eux d’exprimer et de partager leur humanitĂ©. Les prisonniers crĂ©ent un club de disques et organisent des concerts pour les Ă©vĂ©nements spĂ©ciaux et les jours de fĂȘte. Certificat fait Ă  la main et remis par la Robben Island Amateur Athletic Association. Photo UWC-Robben Island Museum Mayibuye Archives Pour nous, la lutte en prison Ă©tait un microcosme de la lutte globale. Nous luttions Ă  l’intĂ©rieur comme nous luttions Ă  l’extĂ©rieur. Le racisme et la rĂ©pression Ă©taient les mĂȘmes; il fallait simplement lutter dans des conditions diffĂ©rentes. Nelson Mandela Un long chemin vers la libertĂ© À l’extĂ©rieur des murs de la prison de Mandela, les Sud‐Africains et les Sud‐Africaines continuent Ă  rĂ©sister Ă  l’apartheid. En 1985, sous la pression de plus en plus forte, le gouvernement offre de libĂ©rer Mandela, Ă  la condition qu’il renonce Ă  la violence comme outil politique. Mandela rejette l’offre. Sa plus jeune fille, Zindzi Mandela, livre sa rĂ©ponse lors d’un grand rassemblement Ă  Soweto La plus jeune fille de Mandela livrant la rĂ©ponse de son pĂšre Ă  une offre de libĂ©ration conditionnelle lors d’un grand rallye, Soweto, 1985. Mandela rejette l’offre en des termes puissants. Photo Associated Press, Peters Quelle libertĂ© m’est offerte alors que l’organisation du peuple demeure interdite ? Quelle libertĂ© m’est offerte alors que je risque d’ĂȘtre arrĂȘtĂ© parce que je n’ai pas mon passeport intĂ©rieur sur moi ? Quelle libertĂ© m’est offerte de vivre ma vie de famille alors que ma chĂšre femme demeure exilĂ©e Ă  Brandfort ? Quelle libertĂ© m’est offerte alors que je dois demander une autorisation pour habiter dans une rĂ©gion urbaine ? Quelle libertĂ© m’est offerte alors que je dois faire estampiller mon passeport intĂ©rieur pour chercher un emploi ? Quelle libertĂ© m’est offerte alors que ma citoyennetĂ© sud‐africaine n’est pas respectĂ©e ? [
] Votre libertĂ© et la mienne sont insĂ©parables. Je reviendrai. » La plus jeune fille de Mandela livrant la rĂ©ponse de son pĂšre Ă  une offre de libĂ©ration conditionnelle lors d’un grand rallye, Soweto, 1985. Mandela rejette l’offre en des termes puissants. Photo Associated Press, Peters Mandela est dĂ©terminĂ© Ă  atteindre la libertĂ© pour tous les Sud‐Africains et toutes les Sud‐Africaines, et non seulement la sienne. En 1986, il commence Ă  approcher le gouvernement pour voir s’il serait possible de nĂ©gocier un terme Ă  l’apartheid. Quatre ans plus tard, le 11 fĂ©vrier 1990, le prisonnier politique le plus cĂ©lĂšbre du monde est libĂ©rĂ©. Il a maintenant 71 ans, mais il reste du travail Ă  faire. Des annĂ©es de nĂ©gociations tendues suivent la libĂ©ration de Mandela. Tout au long de cette pĂ©riode, le pays menace de sombrer dans la violence politique et la guerre civile. En 1993, l’Afrique du Sud adopte une constitution provisoire qui pave la voie Ă  ses premiĂšres Ă©lections dĂ©mocratiques. Mandela et le prĂ©sident d’Afrique du Sud, F. W. de Klerk, reçoivent conjointement le prix Nobel de la paix cette mĂȘme annĂ©e. En 1994 se tiennent les premiĂšres Ă©lections dĂ©mocratiques en Afrique du Sud. Une fois le dĂ©pouillement des bulletins de vote terminĂ©, Mandela devient le premier prĂ©sident d’Afrique du Sud Ă©lu dĂ©mocratiquement. Il consacrera les derniĂšres annĂ©es de sa vie Ă  transformer son pays. Il a toujours dit qu’il restait du travail Ă  faire, et que c’était aux gĂ©nĂ©rations futures de poursuivre la lutte pour la libertĂ©. South Africa election, 1994 Des gens faisant la queue pour voter, 1994. Les gens attendent des heures pour pouvoir dĂ©poser leur bulletin de vote. La plupart d’entre eux n’avaient encore jamais eu le droit de voter. Photo Getty Images, Gallo Images, Raymond Preston Nelson Mandela dĂ©posant son bulletin de vote, 1994. À 75 ans, Mandela devient le premier prĂ©sident d’Afrique du Sud Ă©lu dĂ©mocratiquement. Photo Getty Images, Peter Turnley Navigation dans les diapositives La vĂ©ritĂ©, c’est que nous ne sommes pas encore libres; nous avons seulement atteint la libertĂ© d’ĂȘtre libres, le droit de ne pas ĂȘtre opprimĂ©s. Nous n’avons pas encore fait le dernier pas de notre voyage, nous n’avons fait que le premier sur une route plus longue et plus difficile. Car ĂȘtre libre, ce n’est pas seulement se dĂ©barrasser de ses chaĂźnes; c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la libertĂ© des autres. La vĂ©ritable Ă©preuve pour notre attachement Ă  la libertĂ© vient de commencer. Nelson Mandela Explorez des histoires de courage et d'espoir Dick Patrick La lutte d’un ancien combattant autochtone pour l’inclusion Par Jason Permanand et Steve McCullough Un bal des finissants mixte Ă  Wilcox County Revendiquer nos droits en tant que famille transgenre 1Deux termes sont essentiels pour dĂ©finir les rapports entre l’Afrique et les textes la traduction et l’apartheid. De ces termes j’ai fait les guides de mon travail, allant au-delĂ  de la notion de conscience linguistique qui m’avait guidĂ© dans mon premier livre sur ce thĂšme Ricard 1995b. J’ai voulu m’appuyer sur ceux que j’appelais les passeurs, et Ă©largir mon propos Ă  la dĂ©couverte scientifique de l’Afrique, aux voyageurs et Ă  leurs Ă©crits. Je me suis demandĂ© comment cette dĂ©couverte », tous ces rĂ©cits de voyage, toutes ces expĂ©ditions missionnaires, constituaient le fonds commun de ce que l’on appelle les littĂ©ratures de l’Afrique. Mais au lieu d’une histoire de la littĂ©rature, je propose une rĂ©flexion sur les textes, leur production, leur dialogue, ce que j’appelle une anthropologie de la textualitĂ©, situĂ©e dans une histoire. De la rĂ©volution haĂŻtienne Ă  la rĂ©volution sud-africaine, d’une rĂ©volution contrariĂ©e Ă  une rĂ©volution rĂ©ussie, de 1791 Ă  1994, l’histoire de la textualitĂ© en Afrique et dans l’Atlantique noir a Ă©tĂ© marquĂ©e par l’oppression et la sĂ©grĂ©gation, mais aussi par la question de la traduction, qui est au centre de la conversation Comaroff et Comaroff 1991 qui s’établit tant bien que mal entre l’Europe et l’Afrique. D’une rĂ©volution Ă  l’autre 1791-1994 La mobilisation abolitionniste sur l’Atlantique a Ă©tĂ© affectĂ©e par la rĂ©volution haitienne, que certains ont essayĂ© de transformer en un avertissement sur ce qui risquait d’arriver Ă  la moindre mise en cause de l’autoritĂ©, alors que d’autres ont essayĂ© de rĂ©pandre son potentiel Ă©mancipateur.Cooper 2005 232 2Au xviiie siĂšcle, pour nous, l’Afrique est en partie muette il y a peu de textes africains en dialogue avec la pensĂ©e des LumiĂšres. Aucun n’atteint le succĂšs d’Olaudah Equianoh, dont le rĂ©cit autobiographique publiĂ© en 1789 Ă  Londres fit sensation un ancien esclave racontait sa vie, mais surtout en parlait, lors de tournĂ©es de confĂ©rences des sociĂ©tĂ©s anti-esclavagistes Cooper 2005 179 ! Avec l’ExpĂ©dition d’Égypte de NapolĂ©on, et la crĂ©ation de sociĂ©tĂ©s d’explorations Ă  la fin du siĂšcle, l’Afrique devint une question anthropologique et historique, mais aussi une proie et un enjeu. Dans ce contexte, les rĂ©cits des voyageurs Ă©taient attendus et reçus avec intĂ©rĂȘt. Deux textes, en plusieurs volumes, publiĂ©s Ă  partir de 1790 – jusqu’en 1792 pour Bruce et jusqu’en 1795 pour Le Vaillant – nous serviront de points de rĂ©fĂ©rence. Les voyages ont Ă©tĂ© accomplis plusieurs annĂ©es auparavant vingt ans pour Bruce, cinq ans pour Le Vaillant. De leurs longs pĂ©riples africains, ils ont ramenĂ© des manuscrits traduits et commentĂ©s Bruce ou des listes de mots Le Vaillant. Leurs attitudes annoncent les pratiques de dialogue ou de refus du dialogue qui seront celles du siĂšcle suivant. Bruce converse, Le Vaillant Ă©change des regards et des signes de la main. 3La crĂ©ation de la London Missionary Society LMS en 1795 marque le grand dĂ©but de la textualisation. Les divers processus mis en Ɠuvre dĂ©finissent le champ de la textualitĂ© traduction de la Bible dans des langues qui ne sont pas encore Ă©crites, c’est-Ă -dire pas encore standardisĂ©es et grammaticalisĂ©es la version Ă©crite de la Bible en est ainsi le premier texte Ă©crit ; en mĂȘme temps traduction d’autres textes, qui constituent le premier corpus de ces littĂ©ratures, des livres de piĂ©tĂ©, et surtout le classique des classiques, l’Ɠuvre de Bunyan, le Voyage du pĂšlerin. 4On ne peut traduire une langue inconnue sans dialoguer avec ses locuteurs et ce dialogue a son propre effet. Les langues ainsi traitĂ©es sont alors Ă©crites et les traducteurs de la Bible se mettent Ă  publier des textes traduits de ces langues. La dĂ©cision politique d’incarner la parole de Dieu dans les vies des gens ordinaires » De Gruchy 2000 27 provoque parfois le dĂ©sir de faire savoir ce que ces gens ordinaires ont Ă  dire aux EuropĂ©ens, restĂ©s chez eux. Les journaux missionnaires se nourrissent de correspondances entre missionnaires il y a une forme de curiositĂ© pour les expressions verbales africaines, au moins dans le travail de la SociĂ©tĂ© de Paris, sur lequel je m’appuie. Une forme de dialogue se met en place, mais alors que les textes traduits des langues europĂ©ennes relĂšvent de genres de discours bien dĂ©finis, il faut assigner des catĂ©gories aux textes traduits de langues africaines, les transcrire, leur donner une durabilitĂ© Ă©ditoriale, mais aussi confirmer leur traçabilitĂ©, en somme leur statut de textes authentiques », recueillis sur le terrain auprĂšs d’interlocuteurs fiables. Les grandes catĂ©gories qui se mettent en place sont pourtant peu respectueuses de cette exigence de traçabilitĂ©, comme nous le verrons cette lacune provoque en partie l’assignation massive de la production textuelle africaine Ă  la catĂ©gorie de l’oralitĂ©, masse anonyme, souvent en marge de l’histoire. 5Les textes de Bruce et Le Vaillant posent, chacun Ă  sa maniĂšre, la question du dialogue avec les autres Ă  travers celle des interprĂštes, donc de la traduction. Pour Bruce, le problĂšme se situe dans le cadre classique des Ă©tudes orientales et de leurs pratiques textuelles en train de s’affirmer. Philologue, traducteur confirmĂ© et Ă©diteur de textes, Bruce apporte Ă  cette problĂ©matique une exceptionnelle capacitĂ© d’homme de terrain et d’aventurier Ă©rudit. François Le Vaillant est, lui, aux prises avec des questions neuves, pour lesquelles il ne trouve pas de rĂ©ponse. Il voyage dans des contrĂ©es qui ont Ă©tĂ© parcourues par quelques devanciers, mais aucun n’a offert un tel tableau de l’Afrique ; il se flatte mĂȘme d’ĂȘtre le premier EuropĂ©en Ă  traverser le continent – Ă  cette latitude, tout au sud, l’affaire est plus aisĂ©e que sous l’Équateur ! Certes l’étendue de son voyage et de son sĂ©jour, l’intĂ©rĂȘt qu’il porte Ă  la question de la rencontre des Hottentots, son flirt avec Narina, qu’il raconte avec complaisance, montrent le dĂ©sir d’une connaissance plus profonde. Estimons – soyons gĂ©nĂ©reux ! – qu’il ne se satisfait pas de cette situation de passage. Un voyage sentimental », qui Ă  la maniĂšre de Sterne, ne relate que les Ă©tats d’esprit du voyageur, ne suffit pas face Ă  des situations, des lieux, des gens d’une telle nouveautĂ©. Pourtant il ne transcrit aucun texte, ne produit que des listes, et nous rapporte nombre de conversations muettes » il se met dans des situations absurdes, en ne sachant pas ce que ces interlocuteurs disent. AprĂšs lui, il faut clairement changer de mĂ©thode il faut se parler, Ă©changer des textes, avoir de vraies conversations. C’est prĂ©cisĂ©ment la question du temps partagĂ©, du temps retrouvĂ©, 6de l’effet du temps sur l’interprĂ©tation, qui est le propos de l’anthropologie culturelle de Johannes Fabian qui m’a en partie guidĂ© dans ce travail Fabian 1983. Babel 7Je voudrais explorer les diverses dimensions de la traduction dans le cas africain, qui est un cas particulier, dans la mesure justement oĂč la traduction d’une langue europĂ©enne en une langue africaine est souvent combinĂ©e avec la grammaticalisation la mise par Ă©crit des rĂšgles de la langue africaine, suivie par un essai de normalisation lexicale et syntaxique. De plus, cette traduction fonctionne dans les deux sens elle est dialogique. J’examinerai, en somme, les traductions dans chaque sens des langues europĂ©ennes aux langues africaines et rĂ©ciproquement. Le phĂ©nomĂšne de la traduction est, dans le cas africain, caractĂ©risĂ© par cet Ă©change, certes inĂ©gal, mais nĂ©anmoins crĂ©ateur de sens ; c’est ce que j’appelle la traduction dialogique. Le passage Ă  l’écrit de la langue africaine se construit dans le moment du dialogue entre traducteur et locuteurs. Traduire la Bible en zoulou, c’est discuter avec les Zoulous de leur culture et choisir des mots pour rendre rĂ©alitĂ©s matĂ©rielles et concepts bibliques. La langue une fois Ă©crite, elle peut servir Ă  raconter d’autres histoires le premier livre en zoulou sera une histoire des peuples noirs » Fuze 1922. 8Dans le texte biblique, le mythe de la tour de Babel suit la malĂ©diction de Canaan, fils de Cham, frĂšre de Kush, identifiĂ© aux peuples africains dans les constructions racistes ultĂ©rieures. Sous l’apartheid, les lectures racistes feront grand usage de ce texte d’avant Babel Les esclaves en feront leur esclave, ses frĂšres seront ses maĂźtres » GenĂšse, 9, 25-27. 9Ainsi s’est Ă©tabli, par toute une sĂ©rie d’interprĂ©tations, le mythe et la justification du statut subalterne des descendants de Cham et de Kush, les peuples noirs africains. De telles interprĂ©tations ont fondĂ© les interprĂ©tations sĂ©grĂ©gationnistes de la Bible, dont on sait le succĂšs en Afrique du sud. Paradis perdu parlant une langue adamique le monde d’avant Babel ? Je ne lis pas ainsi le texte. J’y vois la malĂ©diction fondant esclavage et sĂ©paration parmi les enfants de NoĂ©. La sĂ©paration des descendants de NoĂ© fonde un monde divisĂ© Ce sont elles, les familles des fils de NoĂ©, par enfantement et par peuples, À l’origine de la dissĂ©mination des peuples sur la terre, aprĂšs le DĂ©luge. » 10, 32. 10La division des peuples et des langues est un fait, et l’attribution d’un statut subalterne Ă  l’un des groupes ne joue plus, dans le texte la division gĂ©nĂ©rale l’emporte sur la dĂ©pendance particuliĂšre. Tous ces peuples dĂ©cident de construire une tour et se mettent Ă  cuire des briques. YhWh YahvĂ© en est irritĂ© et offre une rĂ©ponse de sa façon Descendons tout brouiller dans leur bouche, Que chacun ne comprenne plus la bouche de l’autre » 11, 7. 11VoilĂ  donc la division accrue par une certaine forme d’incommunicabilitĂ©, mais cette humanitĂ© parlante, ces bouches qui Ă©changent, sont prĂȘtes Ă  un nouvel exercice qui tĂ©moigne de leur humaine condition celui de la traduction. Nul n’est par principe exclu de cet Ă©change. Pour Paul RicƓur, on peut alors lire le mythe de Babel comme le constat, sans condamnation d’un groupe particulier, d’une sĂ©paration originaire, que nous sommes appelĂ©s Ă  dĂ©passer Si l’on adopte cette ligne de lecture que je partage avec l’éxĂ©gĂšte Paul Beauchamp, la dispersion et la confusion des langues, annoncĂ©e par le mythe de Babel, viennent couronner cette histoire de la sĂ©paration en l’apportant au cƓur de l’exercice du langage. Ainsi sommes nous, ainsi existons-nous, dispersĂ©s et confus et appelĂ©s Ă  quoi ? Eh bien..., Ă  la traduction !RicƓur 2004a 35 12La traduction est donc l’autre versant de la diversitĂ©, la rĂ©compense d’un effort de comprĂ©hension, auquel nous sommes, dĂšs ce moment, invitĂ©s. Dans l’Ancien Testament, le peuple Ă©lu possĂšde une Ă©lection propre, et la traduction de la Septante en grec est faite pour les Juifs de la diaspora le peuple Ă©lu n’est en rien investi de la mission de traduire son Ă©lection. Le Nouveau Testament fait, au contraire, de la Mission le fondement mĂȘme de l’Église, le mouvement originel des hommes aprĂšs la RĂ©surrection, aprĂšs PĂąques. Ils ont vu des langues de feu se rĂ©partir et se poser sur chacun d’eux. Tous Ă  ce moment, comblĂ©s du souffle saint, ont parlĂ© de ce que le souffle leur donnait Ă  dire dans des langues Ă©trangĂšres.Actes des ApĂŽtres, 2, 3-4 13L’Ancien Testament a Ă©tĂ© traduit en grec, deux siĂšcles avant notre Ăšre. Mais dans la perspective chrĂ©tienne, aprĂšs la PentecĂŽte, le souffle de l’Esprit est celui qui fait de la traduction non plus une nĂ©cessitĂ© pratique pour les lecteurs ou les auditeurs de la diaspora, mais une mission nĂ©cessaire pour apporter la Bonne Nouvelle Ă  tous les paĂŻens. 14L’apartheid revient Ă  la pĂ©riode d’avant Babel il est le refus de prendre en compte que la traduction est pour certains une mission. Le mot d’apartheid signale un quadrillage, une imposition de barriĂšres, une spatialisation du classement. Chaque langue, chaque homme, se trouve placĂ© dans une position qui le dĂ©finit par rapport Ă  un pouvoir, ce que ne disait pas du tout le rĂ©cit de la GĂ©nĂšse, qui faisait seulement allusion Ă  la position subalterne des fils de Cham. L’apartheid est le domaine des frontiĂšres, des permis, des interdictions. Le systĂšme de l’apartheid s’en prendra Ă  la traduction, pratiquement exclue de l’éducation bantoue. L’apartheid est un systĂšme qui porte de nombreux noms colour bar », sĂ©grĂ©gation
. L’élan vers le monde, fruit de l’universalisme chrĂ©tien, devrait faire tomber ces barriĂšres les missions veulent partager ce qu’elles appellent la lumiĂšre de la Bible avec les autres peuples et pour cela il faut traduire. Rien n’était demandĂ© dans le rĂ©cit de la GenĂšse, mais tout est contenu dans l’élan des Actes des ApĂŽtres. La sĂ©grĂ©gation nous ramĂšne Ă  un monde pastoral qui refuse que les troupeaux greges se mĂȘlent. Or le peuple de Dieu », si nous en restons Ă  une perspective pastorale, est un troupeau mĂȘlĂ©. Ce troupeau qui est un corps dans la thĂ©ologie paulinienne du corps mystique de l’Église nous verrons comment une hermĂ©neutique thĂ©ologique retrouve l’anthropologie de la religion sotho Ellenberger 1912. L’incorporation de groupes de cannibales au peuple sotho en formation se fait par l’aspersion sur leur groupe d’entrailles de gĂ©nisse. La vache est livrĂ©e, et rendue, aux ancĂȘtres. Cet Ă©pisode appartient Ă  la tradition orale d’avant la Mission 1824. 15La traduction n’est pas seulement, ni mĂȘme en premier lieu, une question linguistique elle pose ce que Paul RicƓur appelle un problĂšme Ă©thique » et c’est bien ainsi que je veux la considĂ©rer Amener le lecteur Ă  l’auteur, amener l’auteur au lecteur, au risque de servir et de trahir deux maĂźtres, c’est pratiquer ce que j’aime appeler l’hospitalitĂ© langagiĂšre. C’est elle qui fait modĂšle pour d’autres formes d’hospitalitĂ© que je lui vois apparentĂ©es les confessions, les religions, ne sont-elles pas comme des langues Ă©trangĂšres les unes aux autres
RicƓur 2004a 43 16Le pays aux multiples traducteurs, l’Afrique du Sud, fut aussi celui qui dĂ©veloppa le plus les formes de sĂ©paration fondĂ©es sur des critĂšres ethniques la question des textes est nouĂ©e Ă  la question des terres, la question des langues Ă  celle de l’exclusion des peuples. 17La traduction est un processus dialogique dialogue entre la langue africaine prise dans le processus de graphisation et de grammaticalisation, devenue langue cible, et la langue europĂ©enne, langue source. L’opĂ©ration de traduction se place dans un contexte d’inĂ©galitĂ© et de position dĂ©pendante de la langue cible c’est lĂ  une situation propre Ă  la littĂ©rarisation de langues orales. Ce processus est complexe une lecture synchronique risque de nous faire manquer la dynamique des rapports de force entre les langues, marquĂ©s par une certaine incomprĂ©hension du systĂšme grammatical et de l’histoire des langues bantoues. 18AprĂšs la traduction Ă  sens unique » de la source europĂ©enne Ă  la cible africaine arrive la traduction dialogique », c’est-Ă -dire, selon ma terminologie, celle des textes recueillis auprĂšs des Africains. Tels sont les exemples de textes oraux recueillis, parfois transcrits, trop peu traduits. Tels sont aussi les exemples, et j’en donne plusieurs, de textes Ă©crits dans des langues africaines, inventant donc une nouvelle littĂ©rature. La traduction a eu un effet sur la langue cible, mais les traductions, de la langue africaine Ă  la langue europĂ©enne, sont rares. Pourquoi si peu de curiositĂ© pour les langues des autres ? Aucun roman swahili n’a Ă©tĂ© traduit en anglais dans les trente derniĂšres annĂ©es. La mĂȘme situation prĂ©vaut en Inde aucun roman hindi n’a Ă©tĂ© traduit en anglais depuis plusieurs dĂ©cennies, comme le remarquait dans le New York Times du 26 juin 2009, un professeur de l’UniversitĂ© de Chicago, et cela bien que le prestige de cette langue orientale semble bien supĂ©rieur Ă  celui des langues africaines ! L’arrogance culturelle est le trait dominant dans les rapports avec les langues des autres du Sud, de l’Inde ou de l’Afrique. Cela devrait nous donner Ă  penser les limites des processus de mondialisation ». 19DĂšs 1986, Jacques Derrida avait Ă©crit sur Nelson Mandela un texte, Admiration de Nelson Mandela, qui Ă©tablissait les sources intellectuelles de la pensĂ©e de l’illustre prisonnier. Il montrait bien que son projet n’était pas l’établissement d’une dĂ©mocratie populaire, façon Europe de l’Est, comme on nous le laissait trop accroire, en particulier en France, mais une dĂ©mocratie constitutionnelle, ce qui s’est effectivement passĂ©, que nous devons rappeler et saluer avec le respect dĂ» aux promesses tenues, et la conscience des limites de ce formalisme nĂ©cessaire. À la suite de la commission VĂ©ritĂ© et RĂ©conciliation, qui a confrontĂ© pendant deux ans, en audiences publiques Krog 2003a, les victimes de l’apartheid Ă  leurs bourreaux, des articles et des livres ont fait une place Ă  des concepts philosophiques empruntĂ©s aux langues africaines et notamment au concept d’ubuntu. 20Jacques Derrida analyse ainsi les concepts utilisĂ©s par Desmond Tutu, prĂ©sident de la commission VĂ©ritĂ© et RĂ©conciliation, et nous donne, Ă  partir de la pratique et de textes de la commission, sa comprĂ©hension philosophique de l’ubuntu. Notons, c’est mineur, mais nĂ©anmoins significatif de la distance qui demeure avec les langues bantoues, qu’il n’est pas trĂšs sĂ»r de la graphie du terme et mĂ©lange de façon erronĂ©e les prĂ©fixes de classe du xhosa aba-ntu, classe 2 est pour lui le mĂȘme mot qu’ubu-ntu, classe 14. Comme il nous le dit, la question de la traduction des idiomes sic africains a Ă©tĂ© souvent Ă©voquĂ©e dans la commission, et Tutu s’est vu reprocher de traduire les onze idiomes africains dans celui qui dominait alors, l’idiome anglais, c’est-Ă -dire aussi chrĂ©tien » Derrida 2004 116. Le reproche Ă©tait peut-ĂȘtre fondĂ©, mais l’effort mĂ©rite notre estime ! 21Ubuntu, vieux mot africain, – qui signifie humanitĂ© », comme le dit le site internet Linux qui promeut le logiciel ubuntu –, est d’abord la combinaison d’une racine et d’une classe, la racine de l’homme, celle qui donne bantou -ntu, et qui se retrouve dans les langues du mĂȘme nom, donnant ainsi une profondeur historique au terme, avec le marqueur de la classe des noms abstraits ubu- dans laquelle, par exemple en kiswahili oĂč le marqueur est u- nous trouvons u-jamaa, nĂ©ologisme politique pour socialisme, mais aussi u-huru libertĂ© et indĂ©pendance. L’éxĂ©gĂšse du terme d’ubu-ntu nous amĂšne Ă  la notion d’intraduisible, c’est-Ă -dire de termes que l’on passe son temps Ă  traduire et Ă  retraduire, sans jamais en Ă©puiser le sens, comme l’explique fort bien Barbara Cassin, dans la prĂ©face de son Vocabulaire europĂ©en des philosophies 2004. 22L’aphorisme xhosa, dans la version de Desmond Tutu, ubuntu unaguntu ngabanye abantu, Ă©nonce que l’humanitĂ© n’est possible, viable, qu’à travers les hommes,abantu en somme Ă  travers la relation avec les autres. Une telle conception de notre place dans le monde est loin de l’affirmation transcendantale et individualiste du cogito cartĂ©sien elle est socialitĂ©, mais aussi passage par les ancĂȘtres. Une telle reconnaissance implique un devoir d’hospitalitĂ© que nous retrouvons dans l’éxĂ©gĂšse de Mark Sanders qui note combien les commentateurs ont marquĂ© une faible comprĂ©hension des subtilitĂ©s linguistiques, de la complexitĂ© conceptuelle, et de la gĂ©nĂ©alogie historique du concept » Sanders 2003 233. Il nous en prĂ©sente les diverses versions l’aphorisme est connu aussi en zoulou umuntu ngumuntu ngabantu, proposĂ© alternativement umuntu ungamntu ngabanye abantu. Une version sotho nous est aussi donnĂ©e motho ke motho ka batho. On voit immĂ©diatement la parentĂ© des langues nguni xhosa et zoulou, si l’on sait que les marqueurs de classe se placent Ă  l’avant du mot et que la racine est en fin de mot la racine -ntu est commune au xhosa et au zoulou, et se retrouve au singulier collectif des noms abstraits classe 14 ubu-ntu, mais aussi au pluriel des noms de personne classe 2 aba-ntu. 23La question de la traduction a Ă©tĂ© centrale, dans la Commission VĂ©ritĂ© et rĂ©conciliation, mais a aussi Ă©tĂ© au cƓur des dĂ©bats et des dĂ©positions des tĂ©moins. Dans un pays qui compte onze langues nationales, la comprĂ©hension suppose un effort permanent de traduction. Et cet effort est Ă  juste titre associĂ© Ă  l’histoire des missions chrĂ©tiennes en Afrique du Sud. Les thĂšmes et les concepts se nouent dans l’effort actuel pour en finir avec l’apartheid. Sur cette terre parcourue de peuples divers depuis des siĂšcles, et par des Blancs depuis 1652, l’hospitalitĂ© n’était plus vraiment la rĂšgle entre les groupes au xixe siĂšcle. Le souci de la traduction est la manifestation du dĂ©sir de partage d’un bien commun. Ce dĂ©sir a Ă©tĂ© combattu, voire contournĂ©, en Afrique de multiples maniĂšres dans les dĂ©bats actuels du Tribunal d’Arusha, qui juge les auteurs du gĂ©nocide rwandais, la traduction occupe aussi une grande place, parce que personne n’avait pris la peine de traduire ce que les Rwandais racontaient ou proclamaient. En somme le gĂ©nocide s’est dĂ©roulĂ© sur fond d’ignorance, de refus de la traduction, de comprendre ce qui se disait avant ». Etait-ce trop bien compris ? Pas seulement le cynisme n’est pas toujours la bonne explication. Une attitude de nĂ©gation de l’échange, de repli rwandais dans la singularitĂ© ethnique doit ĂȘtre vue Ă  la lumiĂšre de ce que j’appelle le protectionnisme colonial gĂ©nĂ©ralisĂ©, l’enfermement provincialiste ethnique, tribal qui est l’une des grandes ressources idĂ©ologiques de la colonisation et l’une des seules dĂ©fenses des peuples colonisĂ©s. L’apartheid 24L’Afrique du Sud joue un rĂŽle essentiel dans l’émergence du monde moderne le conflit racial a pu ĂȘtre dĂ©passĂ© certes en thĂ©orie, mais aussi dans de nombreux aspects pratiques aprĂšs avoir durĂ© des siĂšcles processus violent et douloureux, qui donne Ă  penser au reste du continent. Il permet aussi de le penser autrement L’apartheid, habituellement considĂ©rĂ© comme une caractĂ©ristique exceptionnelle de l’expĂ©rience sud-africaine est en fait son seul aspect qui soit pleinement africain.Mamdani 1997 45 25De l’esclavage Ă  la sĂ©grĂ©gation raciale, un certain nombre de pratiques ont Ă©tĂ© une atteinte Ă  l’humanitĂ© d’une partie de l’humanitĂ©. Ce que la traduction prĂ©supposait et affirmait pratiquement, notre commune humanitĂ© langagiĂšre, l’apartheid avait entrepris de le nier et de le dĂ©truire. Et nulle part ce systĂšme de discrimination n’a Ă©tĂ© poussĂ© d’une maniĂšre aussi systĂ©matique dans la longue durĂ©e que dans le cas africain. Ce systĂšme ne fut pas simplement une exception sud-africaine, mais sous diverses formes, une des composantes essentielles du systĂšme colonial, dont il Ă©tait une partie centrale, comme le montre l’Ougandais Mahmood Mamdani dans son livre Citizen and Subject Contemporary Africa and the Legacy of Late Colonialism 1997. Ce livre a suscitĂ© un vif dĂ©bat, Ă  la mesure de son succĂšs il a Ă©tĂ© nommĂ© parmi les cent meilleurs livres africains du siĂšcle. Comme le note Mariane Ferme, le propos est de concilier l’histoire de l’Afrique du Sud avec celle du reste du continent » 1999 202 ; le livre repose sur une idĂ©e originale et dĂ©rangeante, en particulier pour le lecteur français le systĂšme sud-africain n’est pas exceptionnel, mais au contraire paradigmatique. L’apartheid est la forme gĂ©nĂ©rique » de l’état colonial en Afrique. La sĂ©paration devient apartheid en Afrique du Sud, mais elle est au Kenya colour bar, au Congo belge obligation de rĂ©sidence dans les citĂ©s, statut de l’indigĂ©nat dans l’Empire français, en somme partout discrimination et sĂ©paration des statuts de sujet et de citoyen. En tant que forme de domination l’apartheid est ce que Smuts dĂ©nommait la sĂ©grĂ©gation institutionnelle, les Britanniques le gouvernement indirect et les Français l’association. Il s’agit lĂ  d’une forme commune d’état que j’appelle le despotisme dĂ©centralisĂ©.Mamdani 1997 20 26L’État colonial, État bifide » est un État qui sĂ©grĂšge. Seule Ă©claircie l’Union française Cooper 2005, et son utopie dĂ©mocratique, mais elle fut brĂšve 1946-1958 et eut pour toile de fond deux guerres coloniales successives, en Indochine et en AlgĂ©rie. Dans des sociĂ©tĂ©s plurales », coloniales ou issues de la colonisation, comment faire coexister des communautĂ©s diffĂ©rentes ? La question se posait dans de nombreux pays et en particulier dans les États demeurĂ©s-Unis Ă©galitĂ© et sĂ©paration, sĂ©parĂ©s mais Ă©gaux, tel Ă©tait le fondement de la doctrine amĂ©ricaine, aprĂšs la Guerre de SĂ©cession. L’Afrique du Sud de l’apartheid avait Ă©laborĂ© un autre concept Voor-bestaan in geregtigheid, la survie dans la justice, qui lĂ©gitimait ses politiques au nom de la perpĂ©tuation de l’identitĂ© afrikaner. 27Comment survivre dans la justice » si l’on a pris pour soi les plus belles prairies, les mieux arrosĂ©es et que l’on a laissĂ© Ă  son voisin africain noir, le veld granitique sur lequel rien ne pousse ? Quelle justice dans cette logique de survie, de chacun pour soi, qui dĂ©truit toute forme de justice et de communautĂ© ? 28La devise amĂ©ricaine – sĂ©paration mais Ă©galitĂ© – Ă©tait la justification que la Cour suprĂȘme se donnait pour accepter les mesures d’exclusion des Noirs dans le Sud, concĂ©dĂ©es aux hĂ©ritiers de la ConfĂ©dĂ©ration. Mais Ă  force d’ĂȘtre sĂ©parĂ©s on finissait par ne plus ĂȘtre Ă©gal du tout la sĂ©paration avait pour but de maintenir la domination, pas d’en finir avec elle ! De mĂȘme la survie n’était possible, dans une situation de guerre de conquĂȘte, que par la perpĂ©tuation des injustices. Survie et justice, sĂ©paration et Ă©galitĂ© ces concepts ont quelque chose d’oxymorique et pourtant ils ont dominĂ© les situations de sĂ©grĂ©gation, aux États-Unis de 1875 Ă  1963 et en Afrique du Sud de 1913 Ă  1994. 29Allons plus loin, Ă  la suite de Gunnar Myrdal dont le livre An American Dilemma, publiĂ© Ă  la fin de la DeuxiĂšme Guerre mondiale 1944 a Ă©tĂ© l’un des dĂ©clencheurs de la crise de conscience qui amena le mouvement des droits civiques. Toutes les Ă©galitĂ©s ne sont elles pas basĂ©es en dernier ressort, sur l’égalitĂ© sociale potentielle, et celle-ci Ă  son tour sur le mariage mixte ? Ici nous atteignons le vĂ©ritable problĂšme. En somme Ă  toute question sur le sujet l’homme de la rue dans le Sud rĂ©pond face Ă  toute demande d’égalitĂ© sociale voudriez vous que votre fille Ă©pouse un Noir ?Myrdal 1944 587 30Or tel Ă©tait bien le genre de questions qu’il n’était pas possible de poser dans l’Afrique du Sud au dĂ©but du dernier siĂšcle, et notamment pas Ă  Morija, comme nous le verrons. Les Ă©crivains sud-africains n’ont Ă©tĂ© ni connus ni Ă©coutĂ©s, sont restĂ©s marginalisĂ©s dans le reste de l’Afrique coloniale, pendant la plus grande partie du siĂšcle passĂ©, non pas parce qu’ils Ă©taient sud-africains, et trop diffĂ©rents, mais parce qu’ils Ă©taient africains et que leur dĂ©nonciation du rĂ©gime de l’apartheid rĂ©sonnait trop fort dans toute l’Afrique. Elle faisait Ă©cho Ă  toutes les multiples formes de discrimination, de sĂ©grĂ©gation. Adopter ce point de vue aide Ă  comprendre pourquoi les auteurs sud-africains noirs furent si peu lus et commentĂ©s. Il convient de les placer dans le cadre d’une histoire unitaire de l’Afrique, sans faire mine de s’étonner de leur redĂ©couverte actuelle. Dans une telle histoire le thĂšme de la discrimination qui aboutit Ă  la sĂ©grĂ©gation est une dimension importante de l’analyse. Ce qui paraissait ĂȘtre leur unique obsession devient un phĂ©nomĂšne observable, sous divers dĂ©guisements, en de nombreux endroits, en de nombreux domaines. Il se combine avec divers modes de sĂ©paration et il est un point sur lequel il fonctionnait Ă  la perfection le protectionnisme, et cela a eu de vastes consĂ©quences culturelles. Les empires coloniaux Ă©taient dans une logique du chacun chez soi pour que les sujets coloniaux soient bien gardĂ©s. Rien n’est plus typique de ce systĂšme que la fixation sur les rapports verticaux avec la mĂ©tropole au dĂ©triment des rapports horizontaux avec les pays voisins, et cela des rĂ©seaux ferrĂ©s coloniaux aux rĂ©seaux tĂ©lĂ©phoniques actuels. Une forme de rĂ©sistance africaine Ă©tait justement l’accent mis sur le caractĂšre horizontal, transversal, des relations possibles avec les autres, des associations de tirailleurs aux mouvements panafricains. Rares sont les rĂ©cits de voyages interafricains d’intellectuels noirs de ces annĂ©es. En termes commerciaux et culturels la mĂ©tropole veut l’exclusivitĂ© et elle rĂ©ussit Ă  persuader les colonisĂ©s de son caractĂšre exceptionnel ». Combien de fois ai-je entendu vanter les mĂ©rites du systĂšme colonial français, de ses vertus d’assimilation opposĂ©es au systĂšme britannique ! La rĂ©alitĂ© est tout autre, comme on le sait le systĂšme colonial français a bien peu assimilĂ©, hormis quelques figures emblĂ©matiques, et le systĂšme britannique a beaucoup rĂ©pandu l’anglais, et ainsi assimilĂ© linguistiquement, en somme créé un espace verbal commun de dĂ©bats politiques, comme l’exemple de la Gold Coast nous le montre. 31L’Afrique du Sud donne une clĂ© de comprĂ©hension du monde colonial que l’Afrique est restĂ©e jusqu’à la fin du xxe siĂšcle. Plus prĂ©cisĂ©ment jusqu’en 1994, date de l’élection de Nelson Mandela Ă  la prĂ©sidence de l’Afrique du Sud, Ă©vĂ©nement souvent dĂ©signĂ© sous le nom de libĂ©ration », voire mĂȘme d’ indĂ©pendance », par les Sud-Africains et que je prĂ©fĂšre qualifier de rĂ©volution. La sĂ©grĂ©gation est d’abord l’exclusion fonciĂšre, le contrĂŽle des dĂ©placements et des migrations, le confinement dans des zones rĂ©sidentielles, et la condition de sujet et non de citoyen. L’état colonial est bifide » Mamdani 1997 il maintient la campagne », la cambrousse, dans une situation de despotisme dĂ©centralisĂ© sous la coupe des administrateurs et des chefs coutumiers, du Togo au Kenya, alors que dans les villes se met en place un despotisme centralisĂ© dont l’État sud-africain fut la forme accomplie, mais dont de nombreux États africains actuels, du Cameroun au Zimbabwe, sont les figures. 32La question de l’apartheid Ă©tait une question continentale, celle de la domination instituĂ©e d’un groupe sur un autre. La littĂ©rature comme exercice et pratique de la libertĂ© se heurtait directement Ă  cette conception des relations entre les hommes. Les intellectuels et les Ă©crivains se confondaient dans les situations africaines, dans la premiĂšre moitiĂ© du xxe siĂšcle, le milieu intellectuel Ă©tait Ă©troit et la professionalisation de l’intellectuel dans la figure du professeur ou son existence en tant que profession libĂ©rale journaliste, Ă©crivain n’étaient pas possibles. Les auteurs sont tout cela Ă  la fois, quand ils ne sont pas comme Mqhayi, en plus, des poĂštes traditionnels, des bardes ! Un mĂȘme mouvement d’indignation anime tous ces auteurs ils ne sont pas reconnus Ă  l’égal des autres, des Blancs, et sont relĂ©guĂ©s dans une catĂ©gorie subalterne, en Gold Coast, comme au SĂ©nĂ©gal ou en Afrique du Sud. 33On peut alors poser la question de l’humanitĂ© de la littĂ©rature en termes autres que ceux de l’engagement. La question est d’abord, pour un intellectuel ou un auteur africain, de se faire reconnaĂźtre des droits culturels et politiques, de devenir un acteur Ă  part entiĂšre dans le processus culturel et politique, de faire reconnaĂźtre dans son travail textuel son humanitĂ© », et de croire que cette reconnaissance est contagieuse. La comprĂ©hension historique de l’unitĂ© profonde du systĂšme colonial, que le livre de Mamdani 2004 propose, dans une perspective que certains qualifient de post-coloniale Bayart 2010, permet une traversĂ©e des Ɠuvres lues comme autant d’efforts, de demandes, de tĂ©moignages de textes qui veulent affirmer une prĂ©sence, pour provoquer une reconnaissance. Que la premiĂšre maison d’édition africaine de Paris se nomme PrĂ©sence africaine voilĂ  bien qui signale le dĂ©sir de reconnaissance, l’effort pour Ă©chapper au statut d’homme invisible. Ce qui n’était pas visible de l’extĂ©rieur pour beaucoup, Ă©tait la relĂ©gation dans un statut subalterne, dans une insignifiance les efforts de Herbert Dhlomo illustrent bien la conscience de la vanitĂ© des efforts de reconnaissance pour ne plus ĂȘtre, comme il le dit un outcast in my land », un proscrit dans son propre pays Dhlomo, in Visser, Couzens 1985 318. Une nĂ©gligence, pas forcĂ©ment bienveillante, Ă©tait donnĂ©e en partage Ă  tous ces intellectuels africains dont la seule existence, voire la seule prĂ©sence dans le champ textuel, Ă©tait en soi une contestation du systĂšme de la domination coloniale. Une telle proposition peut paraĂźtre excessive pourtant l’étude monographique des carriĂšres d’intellectuels et d’écrivains, comme les frĂšres Dhlomo ou Sol Plaatje, donne des arguments Ă  l’appui de cette observation. 34Il importe de rappeler que la tradition libĂ©rale », qui revendiquait des droits Ă©gaux pour tous, n’était ni forcĂ©ment blanche, ni seulement anglophone, mais bien installĂ©e dans la vie politique et intellectuelle des Noirs. Sol Plaatje en est l’une des figures clĂ©s Sanders 2003 169. Cette histoire appartient au patrimoine du protestantisme libĂ©ral celui des premiers missionnaires antiesclavagistes, on dirait aujourd’hui antiracistes. On ne saurait trop exagĂ©rer l’importance de cet hĂ©ritage chez ces premiers intellectuels il leur a donnĂ© l’équipement spirituel et scientifique, mais aussi le soutien matĂ©riel et moral pour mener des combats solitaires, dont on peut dire qu’ils n’ont pris fin qu’avec les Ă©lections de 1994. La force de la sociĂ©tĂ© civile en Afrique du Sud, c’était d’abord la force des Ă©glises. Elle s’exprimait aussi dans leurs luttes sur l’interprĂ©tation de la Bible. Un christianisme dont les variĂ©tĂ©s » crĂ©oles – qu’il s’agisse de celui des colons blancs, des missionnaires de toutes obĂ©diences, des premiers convertis, des chrĂ©tiens indĂ©pendants » – circulent, essaiment, sans jamais vraiment abolir les frontiĂšres entre les groupes – en les renforçant mĂȘme –, mais entretenant un dialogue qui produit une lingua franca » religieuse, culturelle, idĂ©ologique et politique. Cette langue s’alimente en particulier d’une certaine lecture des Ecritures, privilĂ©giant un rĂ©pertoire de motifs vĂ©tĂ©ro-testamentaires et une interprĂ©tation Ă©vangĂ©lique du Nouveau Testament, tout en entraĂźnant Ă  l’imitation des textes. Cette compulsion Ă  prendre modĂšle dans la Bible produit chez tous les groupes phĂ©nomĂšnes d’identifications et prophĂ©ties ; elle fonde un usage sĂ©culier des idĂ©es d’élection divine ou de salut ; elle autorise chacun Ă  croire possible, dans les limites d’un territoire rĂȘvĂ© ou assignĂ©, toujours morcelĂ©, la fondation d’une nouvelle sociĂ©tĂ©...Fauvelle-Aymar 2006 315 35Le christianisme Ă©tait un levier pour agir sur le gouvernement colonial ou le gouvernement de l’Union Sud-Africaine, puis de la RĂ©publique aprĂšs 1960, un bien faible levier en termes militaires, mais il est d’autres forces que le nombre de divisions, n’en dĂ©plaise Ă  Staline ! Aucun autre mouvement n’avait de poids dans le premier tiers du xxe siĂšcle. Il fallut attendre la guerre, la crĂ©ation d’un mouvement de jeunes dans l’ANC, les partis communistes, et dans le reste de l’Afrique, les partis nationalistes et leurs pressions sur l’opinion europĂ©enne et internationale, pour que les Africains posent un vrai dĂ©fi au pouvoir afrikaner qui rĂ©agit en se radicalisant et en systĂ©matisant l’apartheid Ă  partir de 1948. Cela ne se fit pas sans l’élaboration d’une sorte de consensus idĂ©ologique, dont la production Ă©tait une entreprise scientifique », c’est-Ă -dire universitaire, qui se fondait sur les thĂšmes racistes de l’ethnologie primitiviste du dĂ©but du siĂšcle, et nous paraĂźt aujourd’hui une fabrication bizarre. Il n’a plus aucune lĂ©gitimitĂ© scientifique, mais a probablement laissĂ© de fortes traces dans les opinions publiques. La Mission de Paris 36François-Xavier Fauvelle-Aymar note, dans son Histoire de l’Afrique du Sud 2006 que, Ă  l’échelle de l’Afrique australe, le complexe sotho-tswana aujourd’hui onze millions de locuteurs en Afrique du Sud, plus quatre millions au Botswana et au Lesotho est le plus important spatialement. Il est celui qui couvre la plus vaste Ă©tendue de territoire, mĂȘme si les Nguni le complexe xhosa-zoulou sont plus importants dĂ©mographiquement. Cette observation a fait du setswana ou sesotho la langue bantoue la plus Ă©tudiĂ©e et la mieux connue au dĂ©but du xixe siĂšcle. W. Bleek avait fait une thĂšse sur le setswana, Ă  Bonn en 1851, et Livingstone utilisa cette langue tout au long de ses explorations, menĂ©s avec un groupe de Makololo, dont la langue Ă©tait un dialecte tswana. 37J’ai eu la chance de disposer de matĂ©riaux originaux, issus de travaux menĂ©s sur le sesotho ou langue sotho par la Mission de Paris pendant une pĂ©riode trĂšs longue, de 1830 jusqu’en 1929, qui offrent pour toute cette pĂ©riode un ensemble de textes accessibles, souvent Ă  Paris, en français et encore peu Ă©tudiĂ©s. Cette Mission, loin d’ĂȘtre pĂ©riphĂ©rique dans le contexte sud-africain, a Ă©tĂ© centrale. Ces missionnaires sont au cƓur du dispositif de l’Empire britannique. Le contrĂŽle de la riviĂšre Orange, puis celui des mines de diamants de Kimberley et ensuite de la RhodĂ©sie ont fait de tout ce qui se passait sur le plateau central de l’Afrique australe, le pays sotho-tswana, un enjeu essentiel dans cette rĂ©gion du monde, et en fait en Afrique. Les livres des Comaroffs sur l’action de la LMS London Missionary Society auprĂšs des Batswana 1991, 1997 offrent une perspective tout Ă  fait complĂ©mentaire Ă  la nĂŽtre, en mĂȘme temps qu’un modĂšle. Hannah Arendt Ă©tudia 1950 en dĂ©tail l’Ɠuvre de Cecil Rhodes, inventeur de l’impĂ©rialisme moderne, qui voulait relier par rail Le Cap au Caire, et dont l’action eut pour cadre la rĂ©gion qui nous concerne. Le projet impĂ©rial global » est de contrĂŽler l’Afrique, Ă  partir et sur le modĂšle du Sud. 38Le travail de la Mission de Paris m’a intĂ©ressĂ© par la prioritĂ© donnĂ©e au texte sotho, recueilli, transcrit, traduit, puis Ă©crit, comme je le montre dans mes premiers chapitres. Nous pouvons traiter Basotho et Batswana les locuteurs du sesotho ou du setswana, comme un ensemble unique et ainsi comparer nos propres documents avec le travail des Comaroffs 1997. Je me propose donc de considĂ©rer en dĂ©tail les opĂ©rations scientifiques portant sur les langues et les littĂ©ratures de l’Afrique entreprises par les membres de la Mission de Paris SociĂ©tĂ© des missions Ă©vangĂ©liques. Je prĂ©sente leur travail comme un modĂšle de productivitĂ© textuelle, fondĂ© sur un projet de traduction. Je fais aussi l’hypothĂšse que ce travail permet de comprendre, par sa continuitĂ© et sa cohĂ©rence, d’autres projets coloniaux missionnaires. Il reprĂ©sente une entreprise de connaissance conduite avec constance au sein de laquelle a Ă©crit et a Ă©tĂ© publiĂ© le premier romancier africain, Thomas Mofolo, dont les livres sont encore lus et commentĂ©s. Je voudrais, Ă  ma maniĂšre, rĂ©parer l’un de ces oublis de la mĂ©moire française », dĂ©noncĂ© naguĂšre dans Politique africaine par Albert GĂ©rard 1984. La mĂ©moire de la nouvelle Afrique du Sud fait en tout cas une place aux travaux de la Mission de Paris le dernier livre d’Antje Krog, Begging to be Black 2009, un best-seller en Afrique du Sud, est une recrĂ©ation romancĂ©e de l’action des premiers missionnaires de Paris. Étonnant retour de certains des personnages Casalis, en particulier de mon livre, remis sur le devant de la scĂšne par une moderne mendiante de la nĂ©gritude » ! 39Cependant cette entreprise ne pouvait Ă©viter de se trouver mise en cause par l’histoire et fut doublement victime de son moment et de sa situation. Du fait de son antĂ©rioritĂ© – premiĂšre moitiĂ© du xixe siĂšcle – le projet a Ă©tĂ© exclu des dĂ©bats de la fin du siĂšcle et de la constitution de l’anthropologie comme discours scientifique. De plus, produit dans un contexte missionnaire, il a souffert du discrĂ©dit dont cette production scientifique Ă©tait affectĂ©e. Ainsi il n’a pu bĂ©nĂ©ficier de l’effet gĂ©nĂ©raliste que la dĂ©contextualisation scientifique, le passage Ă  des Ă©noncĂ©s universels, validĂ©s par des institutions de savoir, aurait pu lui valoir au moment de l’invention des sciences sociales Ă  la fin du xixe siĂšcle. En un sens, leur marginalitĂ© a prĂ©servĂ© ces travaux des rĂ©cupĂ©rations hasardeuses, puisque le savoir sur l’Afrique fut plutĂŽt utilisĂ© pour valider l’entreprise coloniale et le racisme, comme nous le verrons en Ă©tudiant l’anthropologie sud-africaine. Casalis et Jacottet Ă©taient des candidats parfaitement recevables pour la fondation des Ă©tudes ethnologiques et linguistiques sur l’Afrique, mais ils sont restĂ©s associĂ©s Ă  une institution que la TroisiĂšme RĂ©publique triomphante, coloniale et laĂŻque, avait plusieurs raisons d’ignorer. Le Lesotho ne faisait pas partie de l’Empire colonial français et la mission chrĂ©tienne n’était pas la mission civilisatrice de la RĂ©publique. De mĂȘme, alors que les Ă©tudes sur l’Afrique Ă©taient menĂ©es en Afrique du Sud, et que ces travaux linguistiques et littĂ©raires, reconnus sur place, auraient pu connaĂźtre une nouvelle lĂ©gitimitĂ©, ils ont Ă©tĂ© relĂ©guĂ©s dans l’indiffĂ©rence, touchĂ©s par une sorte de boycott intellectuel. Les Ă©tudes bantoues ont souffert de l’éducation bantoue que mit en place le rĂ©gime de l’apartheid. De plus la crise qui frappa spĂ©cifiquement la mission de Morija, plus qu’un Ă©piphĂ©nomĂšne, fut bien une tragĂ©die d’ampleur historique rĂ©vĂ©latrice des contradictions des situations engendrĂ©es par l’apartheid en formation. 40L’histoire de cette Mission est revenue sur le devant de la scĂšne avec un livre de Tim Couzens Murder at Morija, 2003. Ce dernier, historien de la littĂ©rature sud-africaine, avait produit des Ă©ditions des textes des Ă©crivains noirs, Sol Plaatje et Herbert Dhlomo. Il avait ainsi contribuĂ© Ă  Ă©crire Ă  nouveau l’histoire de la littĂ©rature de l’Afrique du Sud. Il retrace, dans cet ouvrage, la mort d’Edouard Jacottet, directeur de l’école de thĂ©ologie, mais aussi l’un des grands linguistes de son temps, empoisonnĂ© dans des circonstances troubles en 1920. L’histoire de ce drame aide Ă  comprendre les relations entre l’apartheid, qui se mettait en place tout autour du Lesotho, les activitĂ©s d’édition et de traduction supervisĂ©es par Jacottet, et certaines des impasses dans lesquelles se trouvait la Mission. Le livre, Ă©crit par Tim Couzens aprĂšs une dĂ©cennie d’enquĂȘtes, est venu organiser les documents que je possĂ©dais sur la mission et mettre en perspective les entretiens et les correspondances que j’avais eues avec ses reprĂ©sentants. Il a aussi proposĂ© une interprĂ©tation convaincante d’une forme d’impasse historique, celle du systĂšme de l’apartheid. Lisons par exemple Turbott Wolfe, roman de William Plomer 1925, dont l’éloge du mĂ©tissage fit scandale Ă  sa sortie, pour mesurer combien Ă©tait vif, chez un jeune Blanc sud-africain, dĂšs cette Ă©poque, le sentiment de cette impasse. Un corpus original, tel que celui de Morija, permet, Ă  mon sens, d’écrire diffĂ©remment l’histoire de la littĂ©rature et de poser dans un nouveau contexte des questions qui traversent toute cette histoire. 41David-FrĂ©dĂ©ric Ellenberger 1834-1920 avait publiĂ© des tableaux gĂ©nĂ©alogiques, d’une profondeur de plusieurs siĂšcles, dans son livre d’histoire en 1912, annĂ©e de fondation de l’ANC, Ă  Bloemfontein, Ă  140 km du Lesotho. Il avait mis en schĂ©mas ce que lui racontaient les Basotho. Il dĂ©montrait l’anciennetĂ©, et l’antĂ©rioritĂ© par rapport aux Blancs, de la prĂ©sence bantoue au sud de l’Afrique. Une telle antĂ©rioritĂ© aurait pu confĂ©rer des droits, mais en 1913 la loi fonciĂšre spolie les Noirs et 80% des terres vont aux 13% blancs de la population. La dĂ©monstration Ă©tait cependant largement en avance sur les thĂ©ories de son Ă©poque et a souffert de sa mĂ©thode trop avant-gardiste collecte orale, mais elle est aujourd’hui acceptĂ©e, voire validĂ©e. Le travail de Jan Vansina lui a donnĂ©, un demi-siĂšcle plus tard, une respectabilitĂ© acadĂ©mique 1961. 42Une bibliographie rĂ©cente Ambrose 2009 des travaux de la Mission de Paris porte sur les annĂ©es 1830-1929 et j’ai gardĂ© la mĂȘme pĂ©riode de rĂ©fĂ©rence. Les premiers missionnaires arrivent en 1830, et c’est en 1929 que la Mission, aprĂšs la crise qui l’a frappĂ©e en 1920, signale qu’il n’est pas question qu’elle fusionne avec l’Église rĂ©formĂ©e sud-africaine soutien de l’apartheid. Cela en dit long sur l’état de siĂšge qui se met Ă  prĂ©valoir au Lesotho, et qui dura jusqu’en 1994, et sur la difficultĂ© Ă  faire entendre un message original ! Le systĂšme de l’apartheid se mettait en place clairement dĂšs 1913, sous forme d’un ensemble de lois que la prise du pouvoir par les Nationalistes en 1948 organisa, alors que les pratiques de discrimination et d’exclusion Ă©taient dĂ©jĂ  lĂ , et depuis longtemps. Le livre de François-Xavier Fauvelle-Aymar 2006 est clair sur ce point la premiĂšre dĂ©cennie du siĂšcle a vu la prĂ©paration systĂ©matique de l’apartheid. Sol Plaatje est d’une admirable luciditĂ© Native Life in South Africa, 1916, mais son livre n’est pas traduit en français. Il faut en finir avec ce confinement de l’Afrique du Sud dans une marge, et accepter que ce pays donne une comprĂ©hension de l’Afrique entiĂšre. Le parent un peu grossier, le paysan boer, pas trĂšs frĂ©quentable, Ă  la diffĂ©rence de son compatriote, le citadin anglophone, donne aussi la vĂ©ritĂ© du systĂšme il faut penser Ă  partir de lui. 43J’ai lu les textes de romans traduits du sesotho, non comme des exercices futiles et pĂ©riphĂ©riques, des efforts de bienveillance culturelle, mais des rĂ©flexions originales sur un Ă©tat de l’Afrique qui disparaissait sous la pression de la sĂ©grĂ©gation, et mettait en cause l’existence mĂȘme de la Mission et de son message. Traduire, c’est aussi offrir l’hospitalitĂ©. Quelques pionniers originaux ont luttĂ© contre la mise en place d’un monde fermĂ©, qui allait proscrire la traduction Hofmeyr 2004 135, jusqu’à aujourd’hui trĂšs rares sont les traductions de textes non oraux sud-africains de langues autres que l’anglais ou l’afrikaans. Curieux enfermement dans lequel l’Afrique contemporaine est demeurĂ©e idĂ©e ancienne qui confine les discours de ces peuples dans le ressassement patrimonial. 44Pour Wilhelm von Humboldt, seule la prose fixĂ©e par l’écrit rend possible l’émergence de l’auteur individuel. La vĂ©ritĂ© a besoin d’un garant et l’écriture permet la signature d’une pensĂ©e. L’individualitĂ© est d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale le thĂšme central de l’anthropologie humboldtienne. Si l’individualitĂ© langagiĂšre ne commence Ă  se constituer vraiment que par l’écriture, la signification de celle-ci pour la pensĂ©e humboldtienne du langage qui apparaissait Ă  premiĂšre vue si phonocentrique, ne saurait guĂšre ĂȘtre surestimĂ©e.Trabant 1999 222 45Cette idĂ©e constitue l’arriĂšre-plan de la promotion originale, par la Mission de Paris, d’une littĂ©rature en sesotho, qui insiste sur la prose narrative et part de l’écriture journalistique. Certes il s’agit de raconter d’abord des coutumes et des histoires entendues, et non pas des contes, mais ensuite il s’agit de fiction, de personnages dont certains sont des picaros », de vrais hĂ©ros de roman ! La mission a produit des Ă©crivains. L’effort de collecte des textes, poursuivi au long du xixe siĂšcle, a complĂ©tĂ© le travail de traduction biblique, en instaurant une forme de rĂ©ciprocitĂ© linguistique, fort rare Ă  cette Ă©poque. La collecte s’inscrit dans le champ scientifique, en voie de crĂ©ation, de la poĂ©sie populaire et du folklore. Les chants nationaux sont recueillis avec Ă©motion, chez les Zoulous ou les Basotho. Ces monuments de la tradition, les chants de louange des Bantous, ont valeur patrimoniale. Ils appartiennent au patrimoine immatĂ©riel des nations en constitution, comme ce fut le cas chez les Ecossais au siĂšcle prĂ©cĂ©dent. Mais la rĂ©flexion sur les mĂ©thodes employĂ©es, sur le statut des pratiques mĂ©ta-discursives, ne fait pas partie de l’équipement intellectuel de l’époque Bauman, Briggs 2003 et doit attirer notre attention. Texte, textualitĂ© 46La construction historique d’une Afrique ancienne est demeurĂ©e un horizon politique et les chercheurs ont invoquĂ© de façon croissante une oralitĂ© mythique. Ils ont curieusement affrontĂ© les mĂȘmes difficultĂ©s que les Ecossais au xviiie siĂšcle oĂč Ă©taient les textes originaux ? Quels traitements avaient-ils subi ? En somme comment retracer le parcours des textes qui avaient Ă©tĂ© conservĂ©s ? Le texte oral ou Ă©crit en tant que donnĂ© premier de toutes ces disciplines, et plus gĂ©nĂ©ralement, de toute la pensĂ©e philosophe humaniste qui inclut la pensĂ©e religieuse et philosophique Ă  sa source, le texte reprĂ©sente une rĂ©alitĂ© immĂ©diate de la pensĂ©e et de l’émotion, la seule qui soit susceptible d’engendrer ces disciplines et cette pensĂ©e. LĂ  oĂč il n’y a pas de texte, il n’y a pas non plus objet d’étude et de pensĂ©e.Bakhtine 1984 311 47Dans le contexte totalitaire de l’apartheid, il est important de noter que ma lecture de Bakhtine se distingue du Bakhtine français construit par Julia Kristeva. Mon Bakhtine, situĂ© dans l’histoire soviĂ©tique, est personnaliste et humaniste ; la notion de dialogue est d’abord, pour lui, le dialogue interpersonnel, la capacitĂ© d’action autonome des sujets, prĂ©cisĂ©ment ce que le totalitarisme de l’apartheid interdit, tout comme le stalinisme, sous lequel Bakhtine vĂ©cut Agueeva 2004 6. L’un des traits les plus intĂ©ressants du dernier livre de Karin Barber, The Anthropology of Texts, Persons, Audiences 2007, qui m’a beaucoup guidĂ©, est l’utilisation du travail de Bakhtine, dans une lecture proche de la nĂŽtre. On sait la fĂ©conditĂ© de cette anthropologie dans le travail de T. Todorov 1984 ; le travail de Karin Barber qui insiste sur la nature interpellative des textes et du travail qui porte sur eux, renouvelle aussi notre comprĂ©hension de la textualitĂ© et de l’oralitĂ©. 48Un dialogisme gĂ©nĂ©ralisĂ©, dans la perspective de Bakhtine, induit une conception de la personne, sans rapport avec les fictions primitivistes liĂ©es Ă  un Ă©tat oral » de l’humanitĂ©. L’homme oral a Ă©tĂ© en grande part une construction tirĂ©e de l’anthropologie africaine Vail, White 1991. Ce qui compte ce n’est pas d’abord le medium oral ou Ă©crit, mais bien le texte, et le medium est secondaire dans la textualisation discursive, mĂȘme si se posent des problĂšmes mĂ©thodologiques de collecte, Ă©videmment diffĂ©rents suivant les media. Bakhtine n’attribue aucune prioritĂ© Ă  la notion de littĂ©rature ou de genre littĂ©raire la notion de genre verbal ou de genre du discours est celle qu’il utilise. Il a une nette conscience de l’historicitĂ© des formes de discours et de leurs situations sociales. La textualisation est bien la mise en texte d’un fragment de discours, pour lui fournir un caractĂšre durable, qui permet de le transmettre et de le conserver. À cet Ă©gard, la mise par Ă©crit est un processus privilĂ©giĂ©, mais non unique la textualisation ne saurait se confondre avec la mise par Ă©crit. Le texte, au sens que je lui donne dans ce livre, est un Ă©noncĂ© oral ou Ă©crit construit – tissĂ© – pour attirer l’attention et survivre Ă  l’instant [outlast the moment].Barber 2007 2 49Le geste de mise en texte, le processus de textualisation, le moment oĂč le discours devient texte, voire monument, est l’un des objets de notre recherche. Le travail sur la poĂ©sie de Dingan est un bon exemple de cette pratique trĂšs rarement observable dans le dĂ©tail des procĂ©dures, comme je le montre au chapitre trois. La mise en textes de la tradition, qui va de pair avec la construction de la nation, nous paraĂźt ĂȘtre le double but que poursuit Casalis depuis ses dĂ©buts, pour le compte du roi des Basotho. Il Ă©coute les bardes sotho en pensant Ă  Herder, pour lequel la poĂ©sie orale exprime l’identitĂ© du peuple les bardes racontent une nation en cĂ©lĂ©brant un chef, Moshesh ou Moshoeshoe. Il faut maintenant savoir mettre en textes, voire en schĂ©mas historiques. Le travail de Casalis est inscrit dans un projet politique celui de protĂ©ger l’autonomie, sinon l’indĂ©pendance, des Basotho, menacĂ©s par les Afrikaners, et ce projet rĂ©ussit en partie. Contre le colonialisme boer, Casalis, nourri du modĂšle textuel orientaliste, a contribuĂ© Ă  construire, avec son collĂšgue Arbousset, en recueillant les chants nationaux, un imaginaire national sesotho Coplan 1992. Cela ne fut pas tout Ă  fait le cas chez les Zoulous, malgrĂ© les efforts de John Colenso vingt ans plus tard, qui ne puisait pas aux mĂȘmes sources, et trouvait en face de lui des adversaires redoutables, les colons blancs, alliĂ©s dans le Natal Ă  l’Empire britannique, dont rien ne pouvait le protĂ©ger, alors que le protectorat sanctuarisait, en quelque sorte, le Lesotho. 50La notion de texte n’implique aucunement celle d’écrit ; Ă  la durabilitĂ© de la mĂ©moire, ou du papier, j’ajouterais un autre caractĂšre propre au texte la traçabilitĂ©, applicable au texte Ă©crit comme au texte oral. Le fragment de discours textualisĂ©, durable, doit aussi pouvoir ĂȘtre traçable, c’est-Ă -dire ĂȘtre assignable Ă  une instance spĂ©cifique, rĂ©pĂ©rable dans le champ des discours, situĂ© dans une sĂ©quence chronologique qui permet de retracer sa genĂšse. Cette notion est particuliĂšrement importante dans un champ comme le champ africain parcouru de pratiques opaques de collecte aboutissant frĂ©quemment Ă  des pastiches, voire Ă  des faux, censĂ©s exprimer l’imaginaire africain dans des textes entiĂšrement fabriquĂ©s en fonction d’un imaginaire colonial Badibanga 1931. Le texte est un fragment de discours durable et traçable c’est ainsi que je pense le texte, et que je veux penser Ă  partir du texte. Tels sont les critĂšres analytiques que j’applique Ă  ma lecture des discours africains, ou tenus sur l’Afrique. Ces critĂšres prennent sens dans un processus historique, qui utilise la notion de genre verbal, telle que la comprend Bakhtine. Il n’attribue aucune prioritĂ© Ă  la notion de littĂ©rature, ou de genre littĂ©raire, mais a une nette conscience de l’historicitĂ© des formes de discours, de leurs situations sociales. Ceux qui ont reçu une formation en littĂ©rature europĂ©enne peuvent ĂȘtre tentĂ©s de supposer et ils l’on souvent fait que chaque culture a une catĂ©gorie qui correspond Ă  la littĂ©rature ». Et que toute littĂ©rature est caractĂ©risĂ©e par l’unitĂ©, le caractĂšre fictionnel, la langue poĂ©tique, ou une qualitĂ© de l’imagination. Et que la mise en valeur de ces qualitĂ©s est le but du travail sur le texte.Barber 2007 13 51Dans les situations africaines, dans un monde qui a accĂ©dĂ© Ă  l’écriture sous des modalitĂ©s diverses, dans un espace missionnisĂ© jusqu’à saturation, comme l’explique bien Karin Barber, les Ɠuvres des auteurs africains ne peuvent entrer dans les catĂ©gories littĂ©raires reconnues. Cette littĂ©rature, souvent issue des malles en fer blanc tin trunk de cantines », dans lesquelles beaucoup des manuscrits Ă©taient gardĂ©s, ne peut se voir assignĂ©e une place claire dans une littĂ©rature africaine », souvent fabriquĂ©e par les puissances coloniales pour montrer le succĂšs de leurs politiques d’éducation. Il y a une politique de la textualisation et des pratiques textuelles propres Ă  ces contextes coloniaux. Tels sont les points de dĂ©part de ma recherche. Cela ne veut pas dire que j’exclus les Ă©crivains reconnus de mon propos ; je pense au contraire que l’étude de leurs Ɠuvres menĂ©e Ă  partir de l’ensemble de leur travail, en utilisant les manuscrits, la gĂ©nĂ©tique textuelle, l’histoire Ă©ditoriale, les lectures critiques, est une clĂ© essentielle de comprĂ©hension mais cette histoire est une partie d’une histoire plus vaste, celle de la textualitĂ©, des conflits linguistiques, de la lutte pour la reconnaissance, dont la lutte contre l’apartheid Ă©tait l’élĂ©ment le plus visible. Questions de mĂ©thode 52Traiter de la textualitĂ©, en termes mĂ©thodologiques, c’est dĂ©finir des corpus de rĂ©fĂ©rences et des types d’archives. La dĂ©finition de cette question a Ă©tĂ© l’axe central de mon travail depuis plus de trois dĂ©cennies, et je voudrais ici proposer quelques repĂšres dans la dĂ©marche. Je prĂ©sente ces travaux en fonction des diverses langues le français, l’ewe, le kiswahili, le sesotho, l’anglais. Dans chacune de ces langues je me suis interrogĂ© sur les procĂ©dures de construction d’un corpus textuel de rĂ©fĂ©rence, Ă  partir de la transcription de textes oraux, de l’édition de manuscrits, de la traduction de textes. 53Ainsi en français, j’ai commencĂ© par reconstituer l’Ɠuvre Ă©parse de FĂ©lix Couchoro avant de contribuer Ă  sa publication. Les Ɠuvres complĂštes de FĂ©lix Couchoro 3 volumes, prĂšs de 2000 pages viennent de paraĂźtre au Canada 2005. Quand je me suis intĂ©ressĂ© Ă  cet auteur, en 1972, un seul de ses textes figurait dans les bibliographies. La question de la publication de ses manuscrits, certains complets, d’autres Ă  l’état de notes, se posait. De plus certains de ces textes avaient Ă©tĂ© publiĂ©s, en Afrique, Ă  plusieurs occasions ; ils avaient fait l’objet de rĂ©criture ; mais ils ne faisaient pas partie du corpus de la littĂ©rature francophone d’Afrique. Je pensais important Ă  l’époque de les y faire entrer, de modifier la composition de ce corpus, voire de faire figurer cet auteur dans le canon littĂ©raire. FĂ©lix Couchoro tĂ©moigne d’une aventure d’écriture solitaire, incomprise, parfois moquĂ©e, qui est un document de premier plan pour comprendre le Togo et la francophonie africaine. Non seulement par ce qu’il dit, mais aussi par la façon dont il le dit, en particulier par les genres littĂ©raires et la langue qu’il utilise, par ce que je peux nommer son projet littĂ©raire. Les trois volumes de ses Ɠuvres complĂštes sont une publication importante pour l’histoire de la culture Ă©crite et l’histoire de la littĂ©rature », mĂȘme si ses lecteurs français ne le jugeaient pas digne de figurer dans le canon littĂ©raire francophone. 54J’ai menĂ© le travail sur les textes Ă©crits en français, tout en recueillant un corpus oral ewe j’ai recueilli, transcrit, traduit et Ă©ditĂ© des textes oraux de spectacles de théùtre populaire », c’est-Ă -dire en langue africaine. Ces genres oraux, mĂȘlant souvent les langues, posent la question de la textualisation sur la bande magnĂ©tique existe un texte. Le passage au papier, la transcription puis la traduction, font intervenir toute une sĂ©rie d’opĂ©rations politiques rapports entre les auteurs et les chercheurs, entre les traducteurs, les Ă©diteurs. Le sujet fondamental de l’anthropologie, pour moi, ce sont les relations sociales, et je me demande comment la textualitĂ© verbale naĂźt et en retour aide Ă  former ces relations sociales.Barber 2007 29 55J’ai publiĂ©, avec un collĂšgue, un volume avec transcription et traduction, de deux spectacles oraux en ewe du groupe Happy Star, enregistrĂ©s par mes soins en 1971 ; le texte est sorti sous forme bilingue SELAF, 1981, accompagnĂ© d’une cassette avec enregistrement des textes. En 1987, Senouvo Zinsou, directeur de la troupe nationale du Togo, a donnĂ© en français une adaptation d’un troisiĂšme texte, L’Africaine de Paris auquel j’avais consacrĂ©, un an auparavant, une longue analyse, dans L’Invention du théùtre. Il part de la transcription publiĂ©e sous forme de tapuscrit Ă  LomĂ© en 1972 ; en 1997 une traduction en anglais est faite de la traduction française inĂ©dite de la transcription de 1972 in Barber, Collins, Ricard 1997. Ainsi ce texte enregistrĂ© en 1971 existe-t-il sous les formes suivantes transcription en ewe, traduction française inĂ©dite, adaptation française publiĂ©e en volume, traduction anglaise de la traduction inĂ©dite française. 56Toutes ces opĂ©rations pourraient effacer le trajet du travail du groupe Happy Star, les traces de leurs hĂ©sitations, des difficultĂ©s, de la durĂ©e. Elles jouent sur les temps diffĂ©rents de la collecte, de l’édition et relĂšvent des analyses de Johannes Fabian 1983. Elles pourraient prĂ©senter une Ɠuvre achevĂ©e, ou au contraire montrer, ce que j’ai essayĂ© de faire, que dans la rĂ©alitĂ© sociale le texte est la construction de divers acteurs, qu’il porte des traces de cette construction, qu’il ne peut donc ĂȘtre compris sans que sa traçabilitĂ©, son histoire, soient prise en compte. La publication de tels textes pose alors un problĂšme ils ne sont pas rĂ©pertoriĂ©s comme littĂ©rature orale, mais ils ne sont pas non plus des parts lĂ©gitimes de la littĂ©rature dramatique, bien que recensĂ©s dans les dictionnaires du théùtre Bordas, par exemple. 57Le cas du sesotho a Ă©tĂ© fort diffĂ©rent les traductions, prĂ©parĂ©es par Victor Ellenberger il y a plus d’un demi-siĂšcle, Ă©taient restĂ©es dans ses papiers d’oĂč son fils Paul les a exhumĂ©es, revues et mises au net pour une Ă©ventuelle publication. C’est Ă  Nairobi comme directeur de l’IFRA, que j’ai eu Ă  m’occuper de l’Afrique australe et que j’ai trouvĂ© dans les archives de mes prĂ©dĂ©cesseurs la mention de traductions, conservĂ©es Ă  Montpellier, avec la malle Ellenberger, qu’il fallait rapatrier » au Lesotho. Le sesotho Ă©tait la seule langue africaine Ă  figurer au catalogue de Gallimard Chaka, traduit par Victor Ellenberger, avait Ă©tĂ© publiĂ© en 1940 et rééditĂ© en 1981. La maison Gallimard, malgrĂ© l’intĂ©rĂȘt de Jean Paulhan, n’avait pas voulu continuer Ă  publier ces textes. La possibilitĂ© d’accĂ©der Ă  un corpus complet des Ɠuvres publiĂ©es en sesotho entre 1907 et 1946 Ă©tait une source d’information remarquable et je me suis interrogĂ© sur le rapport de ces textes avec l’apartheid. Notons ici les malentendus qui entouraient les premiĂšres publications le Chaka de Thomas Mofolo figurait ainsi dans les anthologies de littĂ©rature anglophone et dans les anthologies de littĂ©rature orale ; il est rĂ©cemment apparu dans un volume sur les Ă©popĂ©es en Afrique. L’idĂ©e simple que ces textes relevaient du travail d’un Ă©crivain, qu’il s’agissait d’un roman, mettant en scĂšne un personnage historique, avait du mal Ă  s’imposer. 58J’ai voulu publier d’autres manuscrits de romans, portant notamment sur les cannibales, sujet favori d’une certaine mĂ©moire sotho. Des Ă©diteurs ont refusĂ© de se lancer dans l’aventure mieux valait ne pas traiter ce sujet en liaison avec l’Afrique. Or le projet Ă©tait bien de publier un texte traduit du sotho
 Ainsi une image convenue de la biensĂ©ance culturelle devient un frein Ă  la diffusion des livres. J’ai publiĂ© un roman de Mofolo, Moeti oa Bochabela. Je raconte dans la prĂ©sentation du texte comment nous avons dĂ» reprendre la traduction du titre Le Voyageur de l’Orient devenu L’homme qui marchait vers le Soleil levant, plus fidĂšle au texte sotho, traduit littĂ©ralement. Le livre est le premier roman Ă©crit en sesotho et sans doute le premier roman Ă©crit dans une langue africaine. J’ai aussi traduit du kiswahili, avec Biringanine Ndagano, une piĂšce d’Ebrahim Hussein Arusi Le mariage. Je n’en ai publiĂ© que quelques extraits Ricard 1997 j’ai eu le sentiment que ma traduction n’était pas Ă  la hauteur de l’original. Ebrahim Hussein est un dramaturge et un poĂšte, comme Garcia Lorca je n’ai pas rĂ©ussi Ă  rendre cette prose poĂ©tique en français. J’ai contribuĂ© Ă  complĂ©ter le corpus du théùtre oral en kiswahili en enregistrant, puis en Ă©ditant, avec un groupe de chercheurs congolais dans Language and Popular Culture in Africa, une piĂšce du groupe Mufwankolo Ricard et al. 2003. 59Enfin j’ai rĂ©ussi Ă  faire accepter par des Ă©diteurs les traductions des textes de Tutuola, effectuĂ©es, dans l’esprit de Raymond Queneau, par MichĂšle Laforest. Ces textes proposent une traduction convaincante de textes considĂ©rĂ©s comme intraduisibles. Ils ont mĂȘme servi de base Ă  des spectacles oraux, en somme Ă  une rĂ©oralisation théùtralisĂ©e des textes de Tutuola Ricard, in Laforest 2007. 60J’ai ainsi essayĂ© de transformer en livres des textes inĂ©dits, de publier des traductions de langues rares », de contribuer Ă  diversifier le champ de nos rĂ©fĂ©rences, en somme d’élargir la catĂ©gorie littĂ©rature », au risque de la dissoudre dans la textualitĂ©. Cela a permis de nouvelles expĂ©riences de lecture. Le travail de mise en texte, la transcription, la traduction, la collecte de manuscrits, leur publication a Ă©tĂ© constitutif de ma dĂ©marche ; il nourrit ma rĂ©flexion, en posant le problĂšme de la production textuelle, de l’énergie verbale qui fait des textes des performances. Je ne crois pas Ă  la littĂ©raritĂ©, je crois Ă  des usages littĂ©raires des textes. 61Les manuscrits sont aujourd’hui l’objet d’un intĂ©rĂȘt scientifique aprĂšs avoir Ă©tĂ© longtemps laissĂ©s de cĂŽtĂ©. Souvent ils proviennent d’intellectuels marginaux, qui ne faisaient pas partie des Ă©lites sociales et politiques de la colonie. Ni FĂ©lix Couchoro, ni Jean-Joseph Rabearivelo n’ont eu la possibilitĂ© de quitter la colonie et de voyager en Europe. MĂȘme dans le cas de personnalitĂ©s intellectuelles et universitaires reconnues, une part de l’Ɠuvre demeure enfouie par exemple les Ă©popĂ©es catholiques de Kagame. Tous les textes ne sont pas publiĂ©s et le souci d’élargir le corpus m’a guidĂ© il contribue Ă  modifier notre comprĂ©hension de ces auteurs. Les publications posthumes d’auteurs comme Okot p’Bitek ou Amadou HampĂątĂ© BĂą sont nombreuses ; pendant longtemps un travail historique indĂ©pendant a du mal Ă  avoir accĂšs aux manuscrits, heureusement aujourd’hui pris en considĂ©ration par l’IMEC dans le cas d’HampĂątĂ© BĂą. Des travaux comme la thĂšse de Claire Riffard 2006 sur Rabearivelo sont trop rares. 62Je crois nĂ©cessaire de mobiliser toutes les ressources documentaires pour Ă©largir notre comprĂ©hension de ces auteurs. Presse, correspondances, romans populaires sont essentiels. Les productions locales donnent Ă©paisseur et pertinence Ă  la nouvelle culture de l’écrit. Ils montrent combien le souci de produire une langue correcte anglais ou français est important chez des Ă©crivains exclus des cercles des Ă©lites. Ce dĂ©sir de reconnaissance culturelle est Ă  la mesure de l’exclusion, et du racisme, dont ils se sentent victimes. La question de la langue de production se pose alors dans un cadre nouveau et original, voire paradoxal. Dans le cas de textes engagĂ©s dans le dĂ©bat Ă©thique et religieux, le choix de langue devient secondaire d’abord compte l’accĂšs Ă  l’écrit. Dans cette sphĂšre d’activitĂ© production de lettres, d’autobiographies, d’histoires locales, etc. la diffĂ©rence entre ce qui s’écrit en anglais, en français ou dans une langue africaine, perd de son importance et les dimensions Ă©difiantes et didactiques purposive de l’écriture sont les plus notables Barber, Furniss 2006. Ce point important est tout Ă  fait vĂ©rifiĂ© dans le cas congolais, comme nous le verrons. 63Il est alors Ă©pistĂ©mologiquement erronĂ©, et mĂ©thologiquement impossible, de partir de distinctions entre la littĂ©rature » et les autres textes ; la production verbale circule sous des formes et pour des temps diffĂ©rents. Certains textes, dans cette production, font l’objet d’usages esthĂ©tiques, de lectures littĂ©raires. Par lĂ  j’entends qu’ils sont repris, interprĂ©tĂ©s, par rapport Ă  des positions de sujets historiques » agissants, c’est-Ă -dire d’auteurs, catĂ©gorie que nous ne pouvons Ă©liminer Compagnon 1998. Mais la catĂ©gorie littĂ©rature » ne peut suffire Ă  rendre compte des usages esthĂ©tiques de la textualitĂ©. Il faut faire appel Ă  l’histoire la notion de genre verbal permet une comprĂ©hension historique des processus de textualisation, qui est l’un des objectifs de notre recherche. 64L’édition de textes manuscrits, la réédition de textes oubliĂ©s, la nĂ©cessitĂ© de maintenir vivant le corpus de textes et de le complĂ©ter sans arrĂȘt est une premiĂšre dimension de l’activitĂ© textualisante. Retrouver les feuilletons de FĂ©lix Couchoro dĂ©coupĂ©s, collĂ©s dans des cahiers, puis les rééditer montre qu’ils ont Ă©tĂ© conservĂ©s, lus pour ĂȘtre relus. Dans le monde colonial, les auteurs locaux n’ont trĂšs souvent aucune reprĂ©sentation du monde de l’édition. Ils veulent seulement ĂȘtre publiĂ©s au Nord chez un grand » Ă©diteur ; parfois ils tapent Ă  la mauvaise porte ainsi l’excellent roman d’Antoine Ruti, Nemo, est acceptĂ© Ă  la PensĂ©e universelle, et marquĂ© ainsi du stigmate de l’illisibilitĂ©, du fait de la rĂ©putation uniquement mercantile de la maison. Le livre excentrique d’Amos Tutuola, L’ivrogne dans la brousse, envoyĂ© lui aussi par la poste, dans la mĂ©tropole Londres, par son auteur, ex-chaudronnier et planton de son Ă©tat, se retrouve chez Faber & Faber oĂč il sĂ©duit le lecteur de la maison d’édition Eliot avant de conquĂ©rir le monde. Les textes circulent sur un marchĂ© chaotique, dans un monde colonial construit suivant la dimension nord-sud. 65Le champ de la textualitĂ© est vaste. Il comprend la textualisation des textes oraux, y compris des confĂ©rences, des transcriptions en langue originale et en traduction française et anglaise, mais aussi l’édition des traductions. Il comprend aussi les rĂ©cits cachĂ©s, en somme toute une textualitĂ© souterraine, voire les graffiti ou les rumeurs marginales par rapport Ă  la littĂ©rature canonique, qui montre combien le domaine textuel est encore Ă  cartographier. L’étonnante dĂ©couverte de la puissance poĂ©tique des graffiti d’un prophĂšte fou » suggĂšre le vaste champ d’une textualitĂ© ouverte qu’il nous appartient de recueillir, sur le terrain, puis d’interprĂ©ter Bonhomme 2009. Tous ces processus analytiques permettent de dĂ©crire le champ de la textualitĂ© comme l’ensemble des processus associĂ©s Ă  la textualisation. On peut concevoir une histoire de la textualitĂ© qui se propose de retracer les diverses mĂ©thodes de textualisation et les articulations entre ces mĂ©thodes dans les champs de l’oralitĂ©, de l’écriture, du livre, puis les usages de ces textes. Le texte est un fragment de discours durable et traçable. Il n’y a pas la » langue nous a appris Émile Benveniste, il n’y a que des » discours, aime Ă  rappeler Henri Meschonnic. La textualisation est le processus qui, Ă  partir de discours durables et traçables, produit des textes ; la textualitĂ© considĂšre le processus et son rĂ©sultat. C’est elle dont j’essaie de faire l’histoire, et de penser le cadre anthropologique car elle ne se produit pas dans un vide politique, social, culturel. 66En fait, je me propose de lire dans les textes la possibilitĂ© de l’ouverture Ă  l’autre, la place de l’hospitalitĂ©, la revendication de reconnaissance d’une prĂ©sence au monde. Cette prĂ©sence appelle la traduction et la rĂ©ception de la parole des autres ; elle demande une Ă©chappĂ©e en dehors du contrĂŽle colonial et de ses sĂ©quelles et une attention pour les stratĂ©gies et les ruses visant Ă  occulter ces contrĂŽles. Langue poĂ©tique ou qualitĂ© de l’imagination sont des traits particuliers, qui relĂšvent aussi de la durabilitĂ© et de la traçabilitĂ©, traits fondamentaux des textes. Faire une lecture anthropologique des textes, et en mĂȘme temps insĂ©rer cette lecture dans une histoire, qui est assez simplement celle de la colonisation, rĂ©sumĂ©e par la figure de l’apartheid. Cette textualitĂ© n’a jamais Ă©tĂ© dĂ©crite en tant que telle, dans son mouvement d’échange. Je me propose de la considĂ©rer Ă  partir des Ă©crits des voyageurs marquĂ©s par l’encyclopĂ©disme des LumiĂšres, qui annoncent la science moderne des textes Humboldt, in Trabant 1999. Ce travail est alors un essai de mise en perspective de divers projets depuis les collectes de manuscrits, et les collectes orales, jusqu’aux traductions, en passant par l’édition de textes inĂ©dits, j’ai essayĂ© de montrer que la catĂ©gorie de littĂ©rature n’était pas pertinente, faute de champ littĂ©raire dans lequel entrer en tension, voire en dialogue. 67La figure de l’écrivain peine Ă  se distinguer de celle de l’homme de pouvoir, et l’exemple de Senghor n’est pas fait pour dissiper cette confusion. Avec Wole Soyinka, une forme de lĂ©gitimitĂ© est donnĂ©e Ă  la pratique littĂ©raire, mais Wole Soyinka lui-mĂȘme, dans une Ɠuvre protĂ©iforme, fait Ă©clater les catĂ©gories reçues son activitĂ© de journaliste est par exemple rarement prise en compte et pourtant essentielle Jeyifo 2004. 68J’ai donc essayĂ© de penser le dialogue entre diverses formes de textes Ă  partir du thĂšme de la traduction que je considĂšre comme rĂ©versible » en permanence de la source Ă  la cible et de la cible Ă  la source. Cet acte dĂ©sespĂ©rĂ© pour comprendre ce qui est nouveau dans la nouvelle Afrique du Sud », dans le monde d’aprĂšs l’apartheid selon Antje Krog 2006, qu’est pour elle la traduction, est pour nous activitĂ© ouverte, dialogique, interprĂ©tante, configurante parfois occultĂ©e, et mĂȘme oubliĂ©e, voire subliminale, en tout cas trop rarement assumĂ©e. De la traduction dialogique » Ă  la traduction subliminale » ? 69Dans le chapitre un, je montre l’incomprĂ©hension de nombre de voyageurs face aux langues de l’Afrique, et j’attire l’attention sur les rares exceptions Ă  cette attitude. Dans les chapitres deux et trois je propose la notion de traduction dialogique, puis celle de textualisation du terrain pour illustrer le travail de la Mission de Paris, traduisant la Bible en sesotho, puis traduisant des poĂšmes oraux du sesotho et du zoulou, et les commentant. 70Au chapitre quatre j’essaie de situer cet intĂ©rĂȘt textuel pour les langues de l’Afrique dans le contexte historique et de le rapprocher de la tradition orientaliste. Les langues de l’Afrique ont Ă©tĂ© mieux connues Ă  la fin du xixe siĂšcle, mais Ă  mesure que leur connaissance progressait, le racisme colonial augmentait, excluant de fait ceux dont on analysait les langues, mais dont on traduisait fort peu les textes, Ă  l’exception des contes, devenus modĂšle des littĂ©ratures de l’Afrique. 71Aux chapitres cinq, six et sept, je m’intĂ©resse Ă  l’émergence de la figure de l’intellectuel puis de l’écrivain, d’abord dans la province du Cap, puis au sein de la Mission de Morija, au Lesotho, dont la figure dominante est celle de Thomas Mofolo. Les Ă©crivains sotho ont Ă©tĂ© traduits en français, mais leur Ɠuvre traduite est restĂ©e largement inĂ©dite. Au chapitre huit, j’élargis mon propos Ă  l’Afrique du Sud, et je prends acte d’une forme d’impasse de la production en langues africaines, dans un rĂ©gime d’apartheid grandissant. Le nouvel Africain The New African de Herbert Dhlomo est un Africain qui parle et Ă©crit en anglais. 72Je dĂ©place ensuite, au chapitre neuf, mon projet en Afrique de l’Est et je retrouve au Kenya le phĂ©nomĂšne de la traduction dialogique dans un contexte de combat lexical la Bible est traduite en gikuyu au moment ou les Gikuyu sont dĂ©pouillĂ©s de leurs terres. Les enjeux lexicaux Ă©taient aussi des enjeux fonciers et l’Ɠuvre actuelle de Ngugi Wa Thiongo, militant de la traduction, doit se comprendre comme la continuitĂ© de ces luttes. Au chapitre dix, je montre qu’à Madagascar et en Afrique de l’Ouest des innovateurs ont voulu combiner les langues, dĂ©passer la diglossie coloniale leurs Ɠuvres pionniĂšres sont peut-ĂȘtre les rĂ©fĂ©rences actuelles les plus vivantes d’une traduction comme principe crĂ©ateur. 73Au chapitre onze je tire les consĂ©quences du choix clair effectuĂ© en faveur des langues europĂ©ennes par les nouveaux lettrĂ©s africains, au Kenya, en Afrique de l’Ouest Gold Coast, puis Ghana, ou au Congo. La traduction disparaĂźt du champ des prĂ©occupations ; elle fait figure d’utopie, et le mouvement en faveur de l’europhonie est clair. 74Dans les annĂ©es 1950, sur les Grands Lacs, comme je l’expose au chapitre douze, Alexis Kagame et Okot p’Bitek ont produit au mĂȘme moment un travail thĂ©ologique et anthropologique qui pense la traduction de la tradition africaine. Leurs rĂ©flexions offrent une perspective sur la notion de traduction dialogique, et permettent de combiner une conception universaliste de la rationalitĂ© avec les perspectives originales que chaque langue propose chacun Ă  sa maniĂšre, ils illustrent la pertinence des intuitions humboldtiennes. 75Je montre ensuite au chapitre treize que la production contemporaine en langues de l’Afrique apparaĂźt peu concernĂ©e par la traduction peu de textes sont traduits en langues de l’Afrique, peu sont traduits de ces langues. Pourtant, dans le cas du kiswahili, la traduction joue un rĂŽle important pour configurer l’organisation des genres verbaux dans la langue. Mais les textes en kiswahili sont peu traduits. La question de la traduction demeure posĂ©e pour ces littĂ©ratures. Plus une langue est menacĂ©e, plus il est urgent de la traduire en d’autres langues, comme le note la poĂšte sud-africaine Antje Krog 2003b 269, mais plus une langue est puissante, plus fort est le dĂ©sir d’ĂȘtre traduits dans cette langue. Ecrivains en kiswahili ou en afrikaans se retrouvent ici dans une mĂȘme situation par rapport Ă  l’anglais. 76Au chapitre quatorze, je pars des textes de Tutuola, pour proposer la notion de traduction subliminale ». Des textes, en anglais ou en français, sont lus comme s’ils Ă©taient traduits d’une langue africaine, alors qu’il n’existe pas d’original. J’appelle ces procĂ©dĂ©s, qualifiĂ©s naguĂšre de relexification Zabus 1991, une traduction subliminale. Le processus relĂšve, pour moi, d’une forme originale de traduction le subliminal » est infĂ©rieur au seuil de la conscience, n’atteint pas un niveau suffisant pour manifester sa prĂ©sence, ne s’affiche pas » Le Robert – comme traduction par exemple. Le procĂ©dĂ© dĂ©borde la notion de conscience linguistique, ou plutĂŽt il relĂšve de ce que je qualifiais d’une forme d’inconscience linguistique fĂ©conde Ricard 1995b. 77Je m’interroge enfin sur l’avenir de ces pratiques Ă  l’heure de la mondialisation du roman et je retrouve les conclusions de mon livre de 1995 l’angesse française de Luandino Vieyra traçait sur le sable la ligne que devaient franchir les inventeurs Trigo 1981. La rĂ©volution survenue en 1994, dans l’arĂšne belliqueuse qu’était l’Afrique de l’apartheid, nous fait relire les traductions bibliques, et les autres, et considĂ©rer Ă  nouveau l’immense aire multilinguistique africaine, ce sable de Babel, sa textualitĂ© prolifĂ©rante, de la rumeur Ă  la chanson et au roman ; j’essaie ici d’en esquisser une histoire et l’étude anthropologique. International En endossant le maillot vert des Springboks, Mandela a conquis les Blancs et marquĂ© un point dĂ©cisif dans sa bataille pour la rĂ©conciliation nationale. Nelson Mandela fĂ©licite le capitaine de l'Ă©quipe de rugby d'Afrique du Sud, François Pienaar, le 24 juin 1995, Ă  Johannesburg. © Jean-Pierre Muller / AFP L'image, relayĂ©e par le film de Clint Eastwood Invictus, est devenue lĂ©gendaire le 24 juin 1995, les Springboks sud-africains viennent de battre la Nouvelle-ZĂ©lande et Nelson Mandela, prĂ©sident depuis un an, revĂȘtu du maillot n° 6 du capitaine blanc François Pienaar, remet Ă  ce dernier la coupe du monde que son pays a remportĂ©e. Conscients du moment historique, les deux hommes Ă©changent des propos qui le sont tout autant. Le prĂ©sident allume la premiĂšre mĂšche "François, merci pour ce que vous avez fait pour votre pays." Le capitaine le suit sur le mĂȘme terrain "Non, monsieur le PrĂ©sident, merci pour ce que vous avez fait." La foule hurle alors "Nelson, Nelson !" Une foule composĂ©e Ă  95 % de Blancs. Dans l'imaginaire sud-africain, la scĂšne qui se dĂ©roule ce jour-lĂ  Ă  l'Ellis Park de Johannesburg renvoie Ă©videmment Ă  un autre stade, celui de Soweto, oĂč Mandela, une semaine aprĂšs sa libĂ©ration en 1991, avait Ă©tĂ© acclamĂ©, mais seulement par le peuple noir. Cette fois, le chef de l'État est ovationnĂ© par des Blancs. Car il a endossĂ© ce maillot vert marquĂ© de l'antilope, incarnation d'un sport, le rugby, rĂ©servĂ© aux Blancs. Un maillot symbole mĂȘme de l'apartheid, donc de l'ennemi. Mandela a eu cette intuition gĂ©niale pour conquĂ©rir le coeur des Blancs. Et peu importe si l'Ă©quipe victorieuse compte dans ses rangs un seul Noir, Chester Williams, les Springboks ont avec eux ce seiziĂšme joueur, dĂ©cisif. Juste avant le coup d'envoi, Mandela Ă©tait dĂ©jĂ  descendu sur le terrain pour serrer la main des joueurs, habillĂ© de ce maillot. Le geste avait sidĂ©rĂ© le public, un moment silencieux. Les foules sont versatiles. Au silence avaient succĂ©dĂ©, heureusement, des acclamations. Le ballon ovale rĂ©unit la nation entiĂšre Mandela prĂ©parait son coup depuis longtemps. Jusque-lĂ , les Noirs ont pratiquĂ© avec le rugby la politique du bĂąton. Car ce sont les manifestations anti-apartheid, lors des matchs des Springboks, qui ont menĂ© Ă  partir de 1970 au boycott de l'Afrique du Sud, l'isolant sur la scĂšne internationale. Lorsqu'il arrive au pouvoir, en 1994, Mandela est rĂ©solu Ă  pratiquer la politique de la carotte. L'histoire lui a donnĂ© un coup de pouce en confiant en 1992 l'organisation de la Coupe du monde Ă  son pays. Un mois aprĂšs sa prise de fonctions, il invite François Pienaar Ă  venir prendre le thĂ© Ă  Pretoria. OpĂ©ration sĂ©duction. Mandela sait que les Springboks sont huĂ©s par les Noirs lors des confrontations internationales. Dans son propre camp, il aura Ă  braver des rĂ©sistances pour imposer cette politique du ballon ovale, qui a pour objectif de rĂ©unir la nation entiĂšre. Du cĂŽtĂ© blanc, il oblige les joueurs de la sĂ©lection Ă  chanter God Bless Africa, le nouvel hymne national, qui Ă©tait le vieux chant de la rĂ©sistance noire. Le 24 juin 1995, il a atteint son objectif rĂ©concilier Blancs et Noirs derriĂšre le mĂȘme maillot. Comme en 1998 avec la victoire de l'Ă©quipe de France black-blanc-beur, l'unitĂ© n'a qu'un temps, mais elle intervient Ă  un moment critique de la reconstruction, et son souvenir idĂ©alisĂ© dure dans les mĂ©moires. Quinze ans plus tard, une heure avant la finale de la Coupe du monde de football Ă  Johannesburg, le vieil homme fatiguĂ© fait une courte apparition sur la pelouse. Il est assis dans un petit vĂ©hicule motorisĂ© et les Bafana Bafana sont Ă©liminĂ©s depuis longtemps. Mais tout le pays, qui a soutenu son Ă©quipe, cette fois majoritairement noire, songe alors Ă  cette soirĂ©e de l'Ă©tĂ© 1995 oĂč l'homme noir, devant le monde entier, avait revĂȘtu le maillot des Blancs. 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